8 Chefs-d’œuvre méconnus signés Vincent van Gogh

8 Chefs-d’œuvre méconnus signés Vincent van Gogh

Bastien Alleaume | 3 sept. 2021 8 minutes de lecture 3 commentaires
 

Dans ce top, nous n’évoquerons pas la Nuit Etoilée, les Tournesols ou les Autoportraits de Van Gogh. Ce monstre sacré du postimpressionnisme et de l’histoire de l’art en général a réalisé, dans sa courte carrière, une montagne d’œuvres tout aussi fascinantes que symboliques.

Par quelle sorcellerie certaines œuvres deviennent plus célèbres que d’autres ? Comment certaines peintures, d’un même artiste et d’une même période, finissent-elles par atteindre une notoriété mondiale, alors que d’autres sont oubliées du plus grand nombre ? Plus simplement, pourquoi certaines œuvres sont plus connues que d’autres ?

Aujourd’hui, Artmajeur revient en images sur 8 tableaux injustement négligés, n’ayant pourtant rien à envier aux chefs-d’œuvre célébrés dans les plus grands musées du monde.  

 1. Le semeur (d’après Millet), Arles, juin 1888

613220a1ad9a29.61680812_van-gogh-le-semeur-1888-dapres-millet.jpgLe semeur (d’après Millet), Arles, juin 1888 Otterlo, Musée Kroller-Muller (Pays-Bas). 

Van Gogh savait peindre la Nuit Étoilée comme personne, tout le monde le sait. Ce que l’on sait un peu moins, c’est qu’il était également très doué pour représenter la Journée Ensoleillée !

Réalisée en juin 1888 pendant son séjour lumineux à Arles, cette œuvre est une véritable pépite d’or. Inspirée d’une œuvre de son modèle de l’époque, le peintre réaliste Jean-François Millet, ce tableau met en scène un semeur, en pleine besogne sous le soleil éclatant du sud de France. Alors que l’on peut facilement deviner la peine sur le visage de l’ouvrier agricole dépeint par Millet, ce n’est pas ce qui ressort le plus dans cette nouvelle version signée Van Gogh. Ici, les couleurs chantent, le ciel les accompagne de sa plus belle partition, et les mouvements pénibles et répétitifs du semeur se transforment en une gestuelle savamment chorégraphiée.

2. Crâne de squelette fumant une cigarette, 1886

van-gogh-head-of-a-skeleton-with-a-burning-cigarette.jpgCrâne de squelette fumant une cigarette, 1886. Van Gogh Museum, Amsterdam.

Réalisée en 1886 lorsque Van Gogh était à l’académie des Beaux-Arts d’Anvers, cette œuvre sombre est certainement l’une des plus surprenantes de sa carrière. A cette époque, les dessins anatomiques étaient un passage obligatoire pour les étudiants en art. Il était beaucoup moins conventionnel d’en réaliser des peintures. L’ajout d’une cigarette entre les mandibules du squelette révèle l’irrévérence de l’artiste face à cet exercice classique.
Si l’on connait aujourd’hui Van Gogh pour ses tableaux colorés et lumineux, ses œuvres de début de carrière était pourtant empreintes d’une particulière obscurité, comme en témoigne ce squelette qui aborde sans concessions le thème délicat de la mort. A mi-chemin entre le macabre et la satire, ce memento-mori inversé dissimule sans aucun doute une autre grille de lecture : l’attitude humaine de ce squelette témoigne d’une certaine arrogance face à la mort, comme une prédestination pour un artiste qui, bien que décédé dans la fleur de l’âge, a marqué l’histoire de l’art grâce à son génie créatif exacerbé par la consommation de substances plus ou moins nocives.

3. La Vigne rouge à Montmajour, Arles, 1888

van-gogh-la-vigne-rouge-1888.jpgLa Vigne rouge à Montmajour, Arles, 1888. Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou (Russie). 

Réalisée à Arles en 1888, cette œuvre est la seule vendue par Van Gogh, publiquement et de son vivant. Avec cette composition, Van Gogh décrit le labeur des paysans dans la campagne arlésienne, durant la période des vendanges. Avant-gardiste, fauviste avant l’heure, cette toile est un mélange de couleurs complémentaires : la lumière jaune se confronte aux ombres violettes, et les vignes rouges s’opposent au teint bleuté de la terre boueuse. Depuis 1906, l’œuvre n’est jamais sortie de Russie : elle est exposée dans l’illustre Musée Pouchkine de Moscou.

 4. Portrait du père Tanguy, 1887-1888.

van-gogh-portrait-of-pere-tanguy-1887-8.jpgPortrait du père Tanguy, 1887-1888. Musée Rodin, Paris. 

Mais qui est ce vieillard sympathique et mignon, entouré de belles estampes japonaises ? 
Le Père Tanguy, c’est l’ami des peintres célèbres avant qu’ils le deviennent. Marchand de couleurs à Paris durant les années 1860 à 1890, il fut très proche des impressionnistes et de tous les artistes qui en avait dans le ventre. Dans sa boutique se succédaient les personnalités les plus créatives de l’époque : Van Gogh (évidemment), mais aussi Monet, Renoir, Cézanne, Toulouse-Lautrec, Pissarro ou Gauguin pour ne citer qu’eux. Bien plus qu’un fournisseur de matériel, il était également un admirable collectionneur et marchand d’art, qui avait compris avant tout le monde l’énorme intérêt artistique des mouvements impressionnistes et postimpressionnistes. Ici, Van Gogh le représente tel qu’il le voit : sa bonhommie transcende la toile, et une large palette de couleur s’épanouie à l’arrière-plan. Finalement, l’artiste propose une synthèse du caractère et de la fonction de cet ami important.

 5. Le Tisserand devant son métier, Pays-Bas, mai 1884.

van-gogh-le-tisserand-1884.jpgLe Tisserand devant son métier, Pays-Bas, mai 1884. Museum of Fine Arts, Boston (US). 

Comme nous l’avons vu précédemment avec l’œuvre Le Semeur inspirée d’une toile de Millet, Van Gogh était un fervent admirateur du courant réaliste, représenté par des artistes tels que Gustave Courbet, Millet ou Honoré Daumier. Ce mouvement artistique se caractérisait par une quête du réel, longtemps oublié dans la peinture académique classique et le romantisme, qui se bornaient à décrire des scènes mythologiques ou religieuses, dans une recherche constante de perfection, loin des réalités de l’époque. Vincent Van Gogh, comme ses modèles Courbet et Millet, témoigne de véritables sentiments pour les travailleurs pauvres, les acharnés du petit peuple et leurs écrasantes besognes. Lorsqu’il réalise cette œuvre, l’artiste est encore aux Pays-Bas, en plein cœur de sa « période sombre ».
Il vient d’ailleurs de terminer plusieurs romans d’Emile Zola, illustre écrivain connu pour ses descriptions brutes et parfois sordides du monde ouvrier à la fin du 19ème siècle (Nana, Germinal, L’Assommoir…).
Les tisserands font partie de ces travailleurs pauvres, condamnés au labeur et rétribués par des salaires dérisoires. L’ambiance générale et les couleurs sont aussi sombres que la psychologie du sujet principal, le tisserand : un osmose parfaite entre le sujet, la composition, la volonté de l’artiste et son époque. Impressionnant.

6. La Ronde des Prisonniers, Saint-Rémy, février 1890.

van-gogh-la-cour-de-prison-1890.jpgLa Ronde des Prisonniers, Saint-Rémy-de-Provence, février 1890. Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou. 

Réalisée alors que Van Gogh était pensionnaire d’un asile psychiatrique à Saint-Rémy de Provence, cette œuvre ne peut être interprétée que sous l’angle de son propre enfermement. Lorsqu’il arrive à Saint-Rémy, Vincent est épuisé : il vient de traverser une grande crise qui aura eu raison d’une moitié de son oreille, et les habitants d’Arles ont signé une pétition pour qu’il soit interné, ne supportant plus ses frasques sordides et répétitives. Ce tableau, peint à partir d’une gravure de Gustave Doré, est l’une des (très) rares scènes de genre exécutée par Vincent Van Gogh.
Malgré les traits saccadés caractéristique de son œuvre, l’artiste nous offre également de belles prouesses géométriques, comme pour intensifier le sentiment claustrophobique du spectateur. Le sol est rectangulaire, les murs également, et au centre de la composition : cette ronde de prisonniers voutés, les mains dans le dos ou dans les poches, comme captifs des trois fonctionnaires que l’on reconnait à leurs chapeaux sur le côté droit. Tout comme l’essentiel de son œuvre, le choix de ce sujet n’est pas dû au hasard, mais les interprétations peuvent être aussi multiples que subjectives… Vincent était-il conscient de l’utilité de son internement ? Souffrait-il du regard des autres, de la société ? Se considérait-il comme la victime d’une mascarade collective, transférant ses sentiments à travers les traits de l’homme au centre de la toile, plus grand, plus droit que les autres, qui regarde le spectateur comme s’il prenait conscience de la futilité de son existence ?

 7. Japonaiserie : Pont sous la pluie, Paris, Sept-Oct 1887.

van-gogh-japonaiserie-pont-sous-la-pluie-1887.jpgJaponaiserie : Pont sous la pluie, Paris, sept-oct 1887. Van Gogh Museum, Amsterdam. 

Surprenant pour un tableau de Van Gogh, n’est-ce-pas ? C’est à Paris que l’artiste réalise cette copie d’une estampe japonaise signée Hiroshige. Ce médium artistique, traditionnel en Asie, ne sera découvert que très tardivement par les peintres français, à cause d’une fermeture culturelle intense du Japon face au reste du monde, qui prendra fin au milieu des années 1850.

Comme Claude Monet ou Edgar Degas, Van Gogh tombe rapidement sous le charme de l’art d’Extrême-Orient. C’est son frère Théo, marchand d’art renommé, qui le confrontera en premier à ces estampes colorées. Rapidement, Vincent les collectionnera, et s’inspirera de celle-ci pour vivifier sa palette et composer ses toiles. Admirateur passionné, il introduira les pièces de sa collection dans plusieurs de ses œuvres, comme dans le fond du Portrait du Père Tanguy ou derrière son Autoportrait à l’oreille coupée.

 8. À la porte de l'éternité, Saint-Rémy-de-Provence, 1890.

van-gogh-trauernder-alter-mann.jpegÀ la porte de l'éternité, Saint-Rémy-de-Provence, 1890. Otterlo, Musée Kroller-Muller (Pays-Bas). 

Pour finir ce classement avec sensibilité et poésie, voici l’une des œuvres les plus énigmatiques de Vincent Van Gogh. Intitulé « A la porte de l’éternité » ou « Au seuil de l’éternité », ce tableau représentant un vieillard vouté, la tête plongée dans des mains nerveuses, sonne comme une étrange prémonition. Comme l’essentiel de sa production artistique, cette toile aborde le sujet complexe de la vie, oscillant comme l’esprit du peintre entre fragilité maladroite et puissance maitrisée.

Une prémonition ? Réalisée en 1890 à Saint-Rémy-de-Provence, peu de temps avant la mort de l’artiste, le titre de cette œuvre résonne comme un mauvais présage.
A cette période, Vincent Van Gogh est au bord du gouffre : après ses multiples crises dans le Sud de la France, il s’installe à Auvers-sur-Oise (région parisienne), suivant les conseils et les inquiétudes de son frère Théo. Il est usé. Comme les bottes et le costume du vieillard. Il se sent vaciller, prêt à s’effondrer. Comme cette chaise instable sur le point de se briser, comme cet homme âgé, submergé par ses émotions, sur le point de tout abandonner. L’obscurité de son existence, celle de sa vie teintée d’excès et de tristesse, peut maintenant laisser place à la lumière qu'il porte en lui éternellement.

van-gogh-le-crabe.jpgVincent van Gogh, Crabe sur le dos, 1889. Van Gogh Museum, Amsterdam. 

Vincent Van Gogh a bien mérité sa place au panthéon des légendes de l’histoire de l’art. Célébré dans le monde entier, sa trajectoire de vie décadente participe aujourd’hui de son immense renommée.

Ténébreux dans sa tête mais lumineux dans ses toiles, sa vie et son œuvre nous racontent les contradictions de l’existence : peintre de l’accomplissement et de la solitude, de la nostalgie et du désespoir, de la proximité et de l’éloignement, de l’amour et du trouble, de l’harmonie et du désordre, de la durée et de l’instabilité… Van Gogh aimait le monde et la vie, bien que son amour soit resté inassouvi.
Il souffrait à cause de ce monde et fut déchiré par lui.
Il créa avec son art un nouvel univers rien que pour lui, rempli de couleurs et de mouvements, qui contenait tout ce qu’il savait de l’existence, sans prétention ni arrogance.  


« Soit cet homme deviendra fou, soit il nous laissera loin derrière lui. ». Camille Pissarro.

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