Ajouté le 5 juil. 2021
Critique de l’œuvre de l’artiste-peintre et
designer Laila Abarda
Un lâcher-prise, une harmonie totale
Décidément, l’artiste-peintre et designer d’intérieur
marocaine contemporaine Laila Abarda voue une véritable affection avec son
entourage et a choisi de produire une peinture qui trouve son résonnance dans
l’âme des amateurs de l’art. Courageuse, tenace, et amoureuse de sa peinture, cette
lauréate de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Casablanca, en suivant le
chemin des grands peintres de l’Histoire, livre des œuvres d’une diversité
déroutante. Elle
traite majoritairement de sujets sociaux, philosophiques, artistiques,
spirituels, poétiques, entre autres, de par son engagement vis-à-vis des
grandes questions de l’heure dont Corona Virus, thème de sa dernière exposition.
Chez Laila, la tension picturale s’exprime par
l’interpénétration des formes, des couleurs vives posées. Elle simplifie ainsi les formes abstraites de
ses toiles jusqu’à obtenir des coloris comme des vibrations vaporeuses et
lumineuses dans une matière parfois opaque.
C’est dire que les plages de couleurs ne se touchent jamais
complètement. Ses toiles, d’un format mural, présentent des tâches en forme de
flammes puis de grandes plages de couleurs en aplats, constituées de deux ou
trois couleurs, sa «non-couleur privilégiée».
Et comme nombre d’expressionnistes abstraits, dans ses
œuvres, la forme cède devant le contenu, celui de son inconscient. L’espace du tableau devient alors un tremblement, un souvenir, un
détail, un tourbillon chromatique, une vérité mystérieuse, une fissure
spirituelle, entre autres. Et l’on peut avancer que cette artiste à la démarche
picturale originale accorde une haute importance à l’équilibre rythmique des
couleurs qui manifeste son dynamisme d’exécution sur toile ou sur papier.
Sur ses vastes toiles, elle crée des effets de surface par le
mouvement du pinceau, prolongement de son corps. Et les lignes s’agencent selon une dynamique
tout à fait personnelle. Bien qu’elle possède le sens de la matière picturale
et du geste, elle marque son émotion attachée à la nature et la poésie de
l’univers dans une vibration et un enchevêtrement énergique de larges touches
colorées.
L’œuvre de notre peintre est constituée en très grande
majorité de toiles de grandes dimensions peintes à l’acrylique et recouvertes
de croquis et esquisses. Le temps intérieur ou l’émotion créatrice, et le temps
extérieur ou la matérialisation de cette émotion dans l’œuvre de Laila est
rendu simultané par sa matière fluide légère et transparente.
Et si dans l'histoire de l'art, ce travail peut évoquer l'importance de la
naissance de la perspective notamment dans le lien anthropocène -art
contemporain, notre plasticienne y expérimente une notion nouvelle de la perspective
par une forme d'anamorphose. La couleur
y apporte de l'émotion et change la perception de l’espace. Ainsi qu'une mise
en abîme de la fluidité poétique dans cette démarche pour pénétrer dans un
paysage créé par l'artiste, créatrice d'un monde.
Les territoires infinis de la création
Les expositions de Laila ont toujours été l’occasion pour le
public de voir et d’apprécier ses travaux qui s’annoncent comme une
effervescence de sensations renouvelées et chargées de charme. Et au fil du
temps, elle se crée un univers d’émotions matérialisées par des couleurs et des
formes. Elle s’appuie sur son propre terrain fertile en thèmes et en sujets et
fait appel à l’imagination, son précieux outil, lui accordant le premier rôle
et l’autorisant à s’ébattre en toute liberté et fantaisie. Elle fait confiance
également à ce riche substrat de matières variées qui couvent en elle dans les
tréfonds de sa psyché et qui est fait de souvenirs, d’expériences marquantes,
de rêves, de cauchemars, d’idéaux, de toute une symbolique personnelle.
Voici comment s’opère la magie de son travail. Tout cela se
bouscule sur la toile en voisinages inattendus, suscitant chez le spectateur la
surprise et le questionnement. Le rapprochement est tantôt éloquent, tantôt
obscur, jusqu’à ce que l’effort soit fait de se laisser inviter dans cet
univers et de s’en imprégner. Dans ses travaux, grands formats, Laila cultive
un lâcher-prise qui autorise à sa création de remonter de l’obscurité jusqu’au
grand jour.
Ici encore, la composition s’impose d’elle-même en une sorte
de lumineux éclat visionnaire, à partir de quelques éléments entrevus que
l’ensemble se construit au rythme de l’élan créateur. Dans ses œuvres, le
contemplateur s’aperçoit immédiatement les possibilités de notre artiste de
guider méthodiquement son imagination pour faire quelques pas dans les
territoires infinis de la création.
Vers des réalités intérieures
L’œuvre prouve en outre que l’artiste a toute liberté
d’imposer un style à ses sujets, sans contraintes aucunes. Surtout en ce qui
concerne la responsabilité de la forme dans l’apparition du style. Il est
question dans ses tableaux de modifier les apparences en vue de l’expression.
Elle bouscule, malmène et renverse le sens commun des choses pour arriver à
leur signification profonde. Ce qui explique la ferme volonté de Laila de ne
jamais s’en tenir des explications superficielles et d’aller plutôt au-delà des
vues conventionnelles vers des réalités intérieures. Ainsi, le songe qui
s’avance de prime abord masqué offre soudain alors le visage du réel. D’où la consistance
de son œuvre qui communique avec toute l’humanité sans rester une digression
dans l’histoire.
En attestent ses
œuvres récentes qui sont en somme à l’image de la palette riche de cette
artiste qui a depuis toujours inscrit son œuvre dans un processus favorisant
l’évolution des mentalités, de la réflexion et donc de la spiritualité. C’est
dire qu’en somme, les œuvres de Laila resteront le lieu d’inspiration pour son
public grâce à ses différentes relectures et analyses à travers lesquelles elle
réussit à produire des tableaux différents allant du simple lecteur et au plus
érudit des critiques. Son expérience demeurera au fil du temps un travail riche
de recherches et ouvert à toute interprétation au fur et à mesure que la vie
elle-même se renouvelle de jour en jour, car le mérite de notre plasticienne
chevronnée réside dans sa découverte de la vie tout en nous invitant à la
découvrir ensemble.
Des peintures fluorescentes
Dans le processus de
création, l’artiste-peintre Laila semble privilégier la conception d’un fond
abstrait en premier lieu. Sur la toile,
elle procède de la même façon. L’expérience lui permet de constater des
effets naturellement générés lorsqu’elle peint à la bombe: des petites bulles,
d’autres qui poussaient la peinture dans un sens ou dans l’autre… Certaines
altérations de mise en œuvre observées sont donc pleinement recherchées et acceptées.
Concernant les peintures fluorescentes, l’artiste aime beaucoup les utiliser.
Mais pas seulement. Elle aime aussi utiliser la projection de peinture et le
grattage de plusieurs couches de peinture.
Cette réflexion nous amène à aborder la considération de
l’artiste sur les changements apparus sur l’œuvre. Son point de vue est assez
inflexible : pour l’introduction d’une manière «picturale scripturale»,
caractéristique de ses œuvres réalisées à l’aide de la bombe. Elle introduit de
façon récurrente des éléments graphiques rappelant le monde réel et des
symboles issus du vocabulaire du graffiti : des atomes, des flèches, des
cercles rappelant des cellules, etc. Ses
œuvres sont le plus souvent réalisées indoor. Tout d’abord, elle met la bombe comme dernière étape de la
réalisation de ses œuvres et privilégie de manière générale les nouveaux médias
comme la peinture acrylique en tube). Cette peinture industrielle lui autorise une vitesse
d’exécution accrue. Surtout qu’elle
travaille généralement la toile au sol car cela lui permet une vision en
surplomb et en contre-plongée, soit une vision globale de l’œuvre afin de la
modifier instantanément.
Chez Laila, travailler à la bombe une toile placée à
l’horizontale permet encore de profiter de la diffusion, gage de tracé fin et
précis tout en évitant les coulures. La bombe est également utilisée comme un
outil à part entière puisqu’elle est parfois roulée directement sur la peinture
fraîche, comme cela est constaté sur l’ensemble de ces derniers tableaux. Enfin, elle
livre encore davantage de détail sur ses intentions artistiques.
Après la mise en tension de la toile, elle aime généralement
obtenir une finition mate pour le fond et plutôt brillante pour les motifs au
premier plan. Les effets de matière sont
bien présents sur l’œuvre. Après
plusieurs couches de peinture, Laila gratte cette dernière ou la lave dans le
but d’obtenir une texture épaisse.
Une gestuelle simple et spontanée
Dans ses œuvres récentes, l’on devine aussi les gestes vifs
et simples que l'on retrouve dans toutes les pièces, les traces de peintures traduisent
celles de l'artiste. Chacune de ses œuvres change la perception de l'espace
comme l’artiste questionnait comment la peinture peut faire paysage par
l'intensité des couleurs et du geste qui, pour elle, doit être généreux et dont la simplicité de
l'acte doit inspirer le contemplateur.
Grande et fluide, cette gestuelle simple et spontanée invite
à la création. Cette vitalité généreuse se traduit par l'usage des couleurs
vives et des matériaux simples. Et cette fluidité est au centre du travail de Laila
qui ne souhaite jamais parler de monumentalité de l'œuvre mais tient à
préserver une échelle humaine afin de ne pas mettre de distance avec les
récepteurs.
Les grandes lignes de ces dialectiques de l’attraction des
consciences permettent de concilier l’intention pour soi et le statut conféré
par autrui. Ainsi, examiner les œuvres de cette plasticienne inspirée, de ce
point de vue, nous permet d’apercevoir les conditions de production, de
diffusion, de réception des œuvres abstraites dans leurs états et d’y exercer
un esprit critique.
Il s’agit
ici d’un amour esthétique, précieux, délicat, raffiné. Ses œuvres, elle les illumine, les enrichit, les cerne et leur
donne une nouvelle vie. Elles ne sont ni tout à fait les mêmes ni tout à fait
autres. Loin s’en faut. La peinture de Laila
est une peinture d’offrande, une peinture sacrée où tout est silence et
sérénité. Aucun bruit, aucune interférence, une harmonie totale, à mi-chemin
entre le rêve et la réalité.
Ayoub Akil
Journaliste et écrivain