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Retour à la liste Ajouté le 17 mars 2020

Journées d'études sur le livre d'artiste (partie 1)

Musée du livre d'artiste, Granville

mardi 17 mars 2020
mardi 17 mars 2020



Contenue de la première journée d'études (17.03.2020)


DEBATS 

PARTIE-I


1.1. Conception de la GENÈSE ULTÉRIEURE pour le livre d’artiste d’aujourd’hui

Toute la structure de l’œuvre est fondée sur ce que l’on peut nommer une forme pure. Cette catégorie se laisse appréhender comme liée aux formes vivantes dans la nature : montagnes, planètes, rivières, arbres, etc. Chaque nouvelle structure, si elle veut présenter une harmonie, doit être le résultat d’une approche vers la forme pure, même éloignée de son prototype. Le livre d’artiste, par son essentiel, comme une construction complexe, doit répondre à un tel objectif. En outre, étant un monde, chaque forme créée dans un tel livre se projette vers l’avenir. Pour l’atteindre, les artistes du livre mènent un combat contre la répétition et la stagnation. Ceci dit qu’ils cherchent à se libérer dans le chemin vers la composition de l’art.

Dans le livre d’artiste s’opère donc d’abord la construction d’une surface selon le principe de la recherche d’une forme pure. Si on se concentre sur les volumes du Laboratoire du livre d’artiste, il s’agit du format carré préconisé pour cette collection. Le plan carré permet d’étudier concrètement les tensions entre les formes. On peut donc suivre les interactions des figures et des couleurs sur cette surface initiale. Le plan carré se trouve dans un état d’attente de la mise en place des éléments de différente nature, verbale ou non. Dans ce sens, la surface du livre est exclusivement matérielle, elle suppose une texture, une épaisseur, une rigidité… (dans la plupart des cas pour le papier), ce qui donne son caractère à l’objet. Celui-ci est libre dans la manière d’assembler les pages, qui peuvent être reliées ou rester en feuilles. Pour arriver à l’équilibre d’une nouvelle forme, il faut prendre en compte les aspects tactiles, sonores et chromatiques.

Selon les méthodes élaborées au Laboratoire du livre d'artiste depuis 2008, les éléments réunis dans un livre d’artiste sont pensés en tant qu’ensemble vivant à sa propre manière, comme un corps dans le temps futur. Et c’est à l’artiste de programmer tous les changements dans le temps qui se produiront avec son livre. Il s’agit d’un concept de « genèse ultérieure[1] ».

Voici quelques aspects de la vie du livre-œuvre qui sont exploitables dans le cadre de cette problématique : 

a) L’artiste peut prévoir et jouer sur le changement de teinte du support. L’image qui se présente dans le livre ne sera pas la même dans la durée selon les nuances. Les couleurs claires (le blanc surtout), par exemple, vont se révéler plus intenses avec le temps à certains endroits[2].

b) L’artiste peut utiliser, en tant qu’action plastique programmée dans l’avenir, la transformation physique du support (gonflage, relief, pression naturelle exercée par le bloc du livre même, etc.). Sur ce principe est fondée la conception de la « gravure vivante » inventée dans l’œuvre Jamais plus. Blanc / Noir[3].

c) L’artiste peut coder une certaine information sans l’expliquer, à la façon des anciens livres des maçons, proposant un déchiffrage comme une sorte de rébus. L’application de cette idée suppose un message transmis non pas dans l’immédiat, mais pour les temps à venir, comportant un potentiel, une capacité de décryptage[4].

d) L’artiste peut intégrer un ou plusieurs documents de diverse nature, témoignages, dessins, manuscrits, dans les parties fermées du livre (par exemple dans le plat de la couverture, dans le dos, etc.), scellés jusqu’à tel ou tel moment de l’avenir. Dans ce contexte, il faut citer la formule du « livre enceint » élaborée pour l’ouvrage Plume ad patres[5]

Ajoutons que, de toute évidence, ces aspects peuvent varier et trouver différentes façons d’apparaître dans la réalisation du livre-œuvre. Toutefois, le livre d’artiste se voit comme une reconstruction de la mémoire[6]. L’artiste s’adresse à quelque chose qui a déjà existé, mais qui semble oublié et doit être retrouvé dans l’inconscient, à travers la multitude de toutes les interdépendances possibles. Ici le processus de création et de réception se réunissent dans le travail créatif mental.

                                                                                                        Serge CHAMCHINOV

                                                                                                            Université Paris-8



Commentaires

[1] Edmund Husserl, Die Bernauer Manuskripte Über das Zeitbewusstsein, 1917-1918, Husserliana, tome XXXIII, Kluwen, Dordrecht, Boston, London, 2001, p. 282. Comparer avec le concept de l’« aura » en tant que « l’unique apparition d’un lointain », de Walter Benjamin, in : Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit (« L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »). Voir la première édition de la revue : Zeitschrift für Sozialforschung (5e année, n° 1, 1936, p. 40-68), nouvelle traduction Payot, Paris, 2013.

[2] S. Chamchinov, Ales Albus, Rue des Oiseaux, 2007 (27Í36 cm, livre peint, leporello. 9 peintures sur papier carton Canson. Technique mixte : encre de Chine, mine de plomb et pastel à l’huile. Jeu scriptural).

[3] S. Chamchinov, Jamais plus. Blanc / Noir (poème d’Edgar Allan Poe The Raven, traductions par Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé), 2 t., LLA, 2012. 

[4]. Voir : Dr Faustus. Opus cantio-graphicum n° 24, (section « Mythe »), LLA, 2013. Ici, par exemple, dans la présentation visuelle du titre, il s’agit de la codification de l’information concernant le personnage (Fust-Faustus-Faust : F-a-ust-us) ; tandis que dans la Chanson de Méphistophélès, il s’agit de codification d’un texte en latin (carmen de pulice).

[5]. S. Chamchinov, A. Arc, Plume ad patres, collection « Fêtes des fous » (livre vertical), 2013.  

[6]. Comparer avec la conception de la mémoire et du temps de Maurice Halbwachs (1925 et 1950).







1.2. La poétique de la reliure contemporaine selon le Laboratoire du livre d’artiste

Le noyau de la collection « Laboratoire du livre d’artiste » comprend des livres au format carré (30 x 30 cm)[1]. Cette figure carrée répond aux recherches artistiques orientées vers les études sur les théories de la forme en mouvement, les théories qui donnent à penser à des formes géométriques harmoniques[2] comme source d’un langage plastique.

Les volumes du Laboratoire du livre d’artiste sont faits selon les procédés traditionnels de la reliure orientale, en combinaison avec la reliure occidentale. Le bloc, l’ensemble des feuilles est perforé, puis cousu près de la tranche avec un fil de lin ciré. Pour l’adoption de la reliure occidentale, ce bloc est mis sous deux plaques rigides cartonnées.

L’apparence physique de la couverture donne une impression de pressentiment d’un « beau livre à l’ancienne » : les coins, les nerfs, le dos, l’ensemble articulé de polices de caractères à la taille combinée[3]. En même temps, sur son périphérique, la couverture s’approprie les éléments bruts de la texture en fibres (papier Himalaya fait à la main avec des bords frangés). Cette matière naturelle du papier devient une composante plastique essentielle des livres du Laboratoire. 

La couverture du livre devient ici un objet de création artistique, dont le titre imprimé entre en corrélation avec la composition proprement plastique. L’utilisation du procédé technique de collage induit un effet visuel bien particulier. On peut décrire son mécanisme de la façon suivante. Grâce au collage du papier Himalaya, la surface ne se laisse plus percevoir comme plate, elle donne une impression de présence de la troisième dimension et elle offre un champ d’action en volume pour le titre imprimé.

Au niveau conceptuel, la forme de présentation de la couverture répond à une action dont, selon l’idée artistique, le contenu de l’œuvre émerge en sortant du cadre. La présence des bords frangés du papier Himalaya aux marges de la couverture symbolise donc le résultat de cet impact. Comme les livres du Laboratoire sont conçus dans le respect de l’art du livre et réalisés dans l’accumulation des savoir-faire de maîtres des époques précédentes, cette émergence du contenu à travers les cadres des bords frangés signifie le lien important entre le présent et le passé.

Selon la conception artistique élaborée par Serge Chamchinov, l’effet visuel de la couverture des volumes du Laboratoire doit provoquer une tension entre le titre et son périphérique. Cette tension surprend l’œil du spectateur par un usage inattendu, délivrant un message inhabituel mais très concentré. Le cerveau doit réagir à cette forme de présentation en repérant les ouvrages du Laboratoire. Le spectateur mémorise cette forme de couverture. Peu importe si le livre est ouvert et examiné ensuite, il entre déjà en communication avec son récepteur grâce à sa couverture et transmet un message à la fois verbal et plastique.

L’extrême individualité d’une telle couverture représente une œuvre en soi sous une forme tout à fait inédite. Elle n’est plus un simple élément décoratif ou composant technique de la construction du livre. En même temps, elle n’est pas l’œuvre à part éloignée du concept livre (livre-objet[4]). Il s’agit d’une œuvre en soi qui est une des facettes de l’ensemble, dont toutes les facettes se coordonnent grâce à une architectonique mise au cœur de la création. 

L’analyse de la poétique de la reliure des volumes du Laboratoire dévoile le fonctionnement du livre en tant qu’objet d’art visuel. Mais ce n’est pas la reliure qui fait du livre un tel objet d’art. Dans son travail, l’artiste répand son action sur tous les niveaux et tous les composants du livre.

                                                                                                                         

                                                                                                                Fedor LVOV

                                                                                                      Université de Fribourg



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