Florence H Image de profil

Florence H

Retour à la liste Ajouté le 5 juil. 2018

Les singulières femmes plurielles de Florence H ( Richard Belfer )

La voiture garée aux Arceaux, il reste à trouver le bon dédale de ruelles du quartier Montpelliérain de Figuerolle.
C’est au bout d’une impasse, à la frontière de deux mondes. Une avenue que semblent sillonnée de bolides passe au-dessus des toits des maisons. Mais elle reste cachée par un arbre taillé en large coupole. La dernière porte de l’impasse s’ouvre sur une courette que délimitent, sous la frondaison accueillante, l’appentis lui servant d’atelier et le logement de Florence H.

D’entrée de jeu, j’aperçois la sirène aux cheveux bleus, aux écailles noires, rouges et jaunes. Assise sur une plage, elle semble couronnée de coraux. Les yeux baissés sur son ouvrage, elle tricote.
Le ciel prend les teintes orange que lui donne les couchers de soleil sur les lagunes du littoral de l’Héraut. A moins qu’il ne s’agisse d’une plage tropicale, incendiée par les derniers feux du crépuscule.

Couverte d’écailles jaunes de même taille que celles que forment les flots bleus noirs, la queue de la deuxième sirène dessine une boucle de même diamètre que le grand gouvernail d’un navire. Elle tient d’une main son gouvernail en bois, gravé de ces mots « Ni Dieu, ni maître, ni gourou ». De l’autre main, elle empoigne le large bout d’une des huit balustres que forment les rayons qui hérissent le gouvernail. Cette sirène a la peau bleue, les cheveux bordeaux et les yeux rouges.
Une troisième sirène met sa queue de poisson, une fois ôtée, à sécher sur une corde à linge.

Florence est née à Bagneux. " Mais je suis venu à Nîmes enfant, indique-t-elle. Ma grand-mère, lyonnaise m’y a élevée."
De ses ballades entre les ruines du Temple de Diane, les Thermes romains et les rues de la vieille ville, elle garde un accès ouvert à l’imaginaire de la mer et aux civilisations perdues. " Je dessine depuis que je suis toute petite. J’ai fait des études de psycho et de philo. J’ai passé un DEUG à la fac d’arts plastiques. J’ai été très punk. Puis j’ai arrêté de peindre, quand j’ai eu quatre enfants."
Elle reprend dans les années 2000.
Ce sont les esprits féminins des étangs, les divinités de la mer et celles des rivières qui m’ont, à l’origine, fait réagir aux peintures de Florence H. J’y retrouve Yémanja, déesse de la mer dans les cultes afro brésiliens du candomblé. J’y reconnais celle des rivières dans le Golfe de Guinée, souvent nommée Mamy Wata. J’y revois les sirènes celtiques et nordiques. J’y évoque cette statue de femme à queue de poisson sonnant de trois trompes, sur la Route des Esclaves à Ouidah, au Bénin. J’y revois les objets de culte à Yémanja rassemblés à Sao Luis, dans le Nord du Brésil. Une partie des statuettes représentent cette déesse sous la forme de la sirène médiévale et scandinave.
« Pour moi, répond Florence, c’est la sirène d’Ulysse qui m’inspire.
Je me suis fadé les textes mythologiques grecs. J’y vois une belle expression de la vie humaine.
La sirène, c’est aussi Circé, qui représente la pensée magique. » Selon Homère, c’est une magicienne puissante, à la fois sorcière et enchanteresse.

D’autres peintures sont accrochées sur les murs de la courette et de l’appentis. Il y a une Madone verte à deux têtes de plantes carnivores berçant un enfant dans ses bras. « J’aime les apparences trompeuses, glisse Florence H. J’aime aussi les décalages. J’aime que le ciel soit rouge. Et la pelouse bleue. »
Il y a les plus petits formats d’une série nommée « pin-up insolites ».
Elles sont joyeuses, s’habillent excentriques, prennent des poses. Ce sont des femmes plantureuses, souvent peu vêtues. Des admirateurs, sous le charme, doivent ne pas toujours se rendre compte que ce sont des cyclopes. Dans la courette sous la route, deux petits portraits, avec des visages en gros plans sont accrochés sur un pan extérieur du mur de l’appentis. Ils représentent deux femmes vertes faisant des œillades Leurs lèvres sont charnues, peinturlurées de rouge à lèvre écarlate. Ces portaits s’intitulent « Esprit des tortues » et « Esprit des serpents ».
D’autres figures de Florence H sont moins connues.
Ce sont des reines du rockabilly ou du hard rock. Ce sont les héroïnes d’ héroïc fantasy gothique. Avec la gorille et le juge, elle revisite Brassens et brouille les genres.
Si reine en mal d’Amour, une femme poisson rend hommage à Catherine et Fred Chichin des Rita Mitsouko. Avec un personnage à l’air pas frais, à la crête en nageoire de rascasse et la gueule de poisson de grandes profondeurs, elle rend hommage aux punks de sa jeunesse. « J’expose dans des centres et des festivals estampillés “arts singuliers”, précise Florence. C’est un terme qui fait suite à “art asilaire” et “art pauvre”.
On parle aussi d’expressionisme contemporain.

Je suis influencée par les peintres de l’école sétoise, en particulier Hervé Di Rosa. Mais cette école ne compte guère de femme, alors que peindre au féminin est au cœur de mon travail. » Malgré un goût partagé pour les références à la bande dessinée, Florence H ne veut pas souligner davantage la parenté. « Je ne veux pas me référer plus explicitement à la figuration libre. Elle me semble correspondre aux années 1980, comme l’explosion du surréalisme correspond aux années 1920. »

Si elle propose un style, Florence H n’offre pas une image relevant d’une figure unique. Elle ne peint pas pour autant des femmes effacées, fluettes ou vaincues. « Je représente des personnages féminins, indépendants et forts », reconnaît-l’artiste. Elle nous place aussi bien devant des femmes mythes ou des déesses, devant des « pin up insolites » que devant des punkettes mange disque !
« D’une certaine manière, je peins des archétypes. Ce sont des symboles universels d’un type ou d’une personne, qui servent de modèle. Ils conditionnent nos façons d’être dans la société. » Il y a les images de la femme soumise et faible. « Il y a aussi la mère et la femme forte. La walkyrie correspond à un principe psychologique. C’est une femme qui fait appel à sa part féminine comme à tous ses atouts de femme — mais aussi à ceux de sa part masculine. C’est une liberté qu’empêche la société. »

On peut trouver que certaines pin-up sont un peu trop « poupées », qu’elles adoptent des poses trop aguicheuses ou des maquillages trop appuyés. « C’est vrai que j’utilise des clichés de codes sexistes, répond Florence. Etre jolie, c’est aussi une idée de la femme. » Elle confie l’influence qu’exerce sur elle les mangas et l’esthétique des représentations de la bande dessinée japonaise. « Quand j’étais jeune, ma sœur était un peu poupée, ajoute-t-elle, et moi casse-cou ! » De quelle sirène, femme ou déesse, Florence nous parle-t-elle. « Mettre autant de rouge à lèvre à mes pin ups, ça m’évite à moi de me tartiner la figure autant… »

Richard Belfer, juin 2015.
Richard Belfer est journaliste et co-fondateur du Chum rose, revue consacrée aux arts ménagers et courtois.

Artmajeur

Recevez notre lettre d'information pour les amateurs d'art et les collectionneurs