HABIB HASNAOUI: Ecartelé entre deux pays qui se tournent le dos

HABIB HASNAOUI: Ecartelé entre deux pays qui se tournent le dos

Nicolas Sarazin | 19 nov. 2019 4 minutes de lecture 0 commentaires
 

Habib Hasnaoui vit entre deux rives: la France, où il est né, a fait ses études et où il s’est maintenant installé. Et, dans l’intervalle, l’Algérie, dont sont originaires ses parents, où il a fait son service militaire et a décroché son premier emploi pendant les années de guerre civile.
Son oeuvre tente à la fois de rendre compte de ce drame et de dire l’impossibilité d’appartenir à deux terres à la fois.

Qu’il soit en France, qu’il soit en Algérie, Habib Hasnaoui est un éternel exilé, et sa peinture s’en ressent. D’abord dans les thèmes, avec ces nombreux ports, ces bateaux, précis ou esquissés, ces quais où l’on part et où l’on arrive, mais aussi ces installations qui évoquent des tragédies algériennes..

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Elle s’en ressent aussi dans les matières: des couleurs de terres méditerranéennes, mais également des mélanges de matériaux naturels et d’ajouts de matériaux industriels, comme venant de deux mondes différents, des techniques mixtes sans cesse renouvelées pour montrer que rien n’est figé, que tout se joue “dans un entre-deux”... Des traces d’écriture latine et des signes qui évoquent l’arabe, sans en être vraiment: l’artiste ne maîtrise pas l’écriture arabe, mais tient à évoquer ainsi les deux mondes, et peut-être aussi sa propre mère, restée analphabète toute sa vie.

Mais l’artiste n’en reste pas à la confrontation des deux mondes. Une fois revenu en France, il a eu besoin d’affronter la tragédie algérienne: “Quand je suis arrivé d’Algérie pour me réinstaller en France, c’était en 2000: l’Algérie sortait quand même de dix années de guerre civile. J’ai été meurtri dans ma chair et j’ai eu besoin d’évacuer tout cela”.

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Parmi les oeuvres qui évoquent le plus directement cette période, l’installation Tibhirine, sur laquelle il a travaillé trois ans, en hommage aux moines assassinés par les islamistes: “J’étais à Médéa quand cela est arrivé, dans ce qu’on appelait alors ‘le triangle de la mort’, par loin du monastère”. Vingt ans après les faits, l’artiste a donné sa version de ce drame, cet assassinat, d’une simplicité effrayante, dans une oeuvre elle-même « simple et digne, occultant volontairement la violence et la barbarie du crime» : sept sacs en chanvre, accrochés à sept cintres tous différents, comme pouvaient l’être ces sept moines. Ces cintres eux-mêmes suspendus à une corde qui finit au sol dans un sac de noeuds.

Tout aussi frappant, cette valise faite de barbelés, qui désigne à la fois le désir de partir et son impossibilité.

Dans une troisième oeuvre, l’artiste évoque un drame qui parle à tous les Algériens, peut-être moins aux Français: le massacre de Ramka, qui s’est produit en 1998, au cours duquel un millier de personnes ont été égorgées par le Groupe Islamique armé. “Je devais en parler”, dit simplement l’artiste qui a choisi pour ce faire de prendre un vecteur qui parle aux Occidentaux: le Guernica de Picasso.

Voilà pour le volet le plus violent de son travail, sa façon à lui de ne pas fermer les yeux, de témoigner par son art de ce qu’il a vécu.

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Quand il évoque plus simplement l’exil, les oeuvres ne sont pas pour autant apaisées. Dans la série “Ports et exode”, la mer est bien souvent rouge, les environs restent souvent lointains, au mieux imprécis, au pire inaccessibles. De Marseille, on voit clairement les bateaux, mais on n’aperçoit que très légèrement, au loin, Notre Dame de la Garde. 

Oran, Alger, Marseille… “Deux pays qui se tournent le dos”.

Aujourd’hui, l’artiste fait beaucoup de personnages, des visages, des portefaix, des gens qui portent des choses sur leur dos. Bref, des gens pour qui la vie n’est pas de tout repos. “Si l’art est fait pour rendre compte de ce qui est joli et beau, cela ne m’intéresse pas vraiment”, poursuit cet artiste, qui ressent les difficultés qu’il y a à vivre et qui ne cherche qu’à les faire partager dans son oeuvre.

VOIR LE TRAVAIL DE HABIB HASNAOUI  →

Habib Hasnaoui est né en Algérie et a fait ses études en France. Il a ensuite fait son service militaire en Algérie où il a décidé de rester travailler en tant que dessinateur industriel, à une période difficile où le pays était plongé dans la guerre civile. 

Il est revenu en France, s’installer dans le Tarn où il se consacre désormais entièrement à son travail d’artiste. Quand j’étais dessinateur industriel en Algérie, j’étais amené finalement à faire des collages et des découpages. C’est sans doute par ce biais-là que je suis passé à l’art. Aujourd’hui, il varie encore plus les techniques, ne s’interdisant rien: peintures, installations, acrylique, collages, techniques mixtes, etc. 

Il a enrichi encore les techniques en travaillant sur les ajouts de matière: ‘j’aime rajouter des microbilles de verres aux pigments ou au vernis, quand j’ai besoin de donner de la matière à certaines toiles. Je mets plusieurs couches, mais après, je gratte, j’enlève, pour parfois retrouver les couches inférieures”.

Expo 2018...

L’artiste va exposer en septembre au musée de Ferrières, dans le cadre de l’exposition Exils et refuge. L’exposition comprendra également des oeuvres du peintre irakien Genjo Selwa, les œuvres du peintre  espagnol Francisco Bajen (décédé en 2014), les œuvres du peintre  estonien Nicolaï Greschny (décédé en 1985.) 

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