3 Artistes Torturés au Destin Tragique

3 Artistes Torturés au Destin Tragique

Bastien Alleaume | 12 févr. 2021 10 minutes de lecture 7 commentaires
 

Torturés, fous, malades… Ils ont quitté notre monde avant l’heure, en laissant derrière eux des toiles qui influenceront toutes les générations futures. Revenons ensemble sur trois parcours de vie particulièrement légendaires et tragiques.


Que nous les appelions artistes damnés, artistes torturés ou bien artistes maudits, force est de constater que de nombreux créateurs, de la Renaissance jusqu’à nos jours, du Caravage à Tracey Emin, en passant par Van Gogh et Basquiat, sont passés à la postérité grâce à un talent indéniable, renforcé par une existence souvent sombre et toujours curieuse.
Brouillant ainsi les frontières entre incapacité et génie, méconnaissance et reconnaissance, ces artistes ont mené différents combats contre l’hégémonie de leurs démons. Alcool, drogues, maladies, pauvreté, liaisons toxiques, mélancolie et frustrations sont autant de faiblesses et de difficultés que certains esprits illuminés n’ont pas réussi à surmonter. Parfois, plus que la joie, la douleur peut être une vigoureuse source d’inspiration, et l’histoire de l’art abonde de peintres dont l’œuvre est tachetée du sceau de la souffrance, du chagrin ou du désespoir.

3. Jackson Pollock : L’Alcool, Combustible Créatif

Jackson Pollock en 1949, Photographié par Martha Holmes

Cet artiste américain, Petit Prince de l’Expressionnisme Abstrait, a su marquer les esprits par son avant-gardisme et ses concepts de travail très particuliers. Il apportera beaucoup à la pratique artistique contemporaine et abstraite, notamment grâce à différentes techniques qu’il inventa, s’appropria et popularisa. C’est le cas du all-over, consistant à répartir, plus ou moins uniformément, les éléments picturaux sur toute la surface d’une toile, afin que celle-ci, après avoir été fixée sur un châssis, semble se prolonger au-delà des bords, éliminant ainsi le problème du champ. C’est aussi le cas de l’action painting et du dripping : pratiques consistant à peindre debout, autour et au-dessus d’une toile figée au sol, et à répartir la substance et les couleurs directement en faisant couler le pot de peinture, en gérant le flux de cet écoulement afin d’amplifier ou de réduire l’épaisseur des traits ainsi réalisés.

Néanmoins, tous les génies ont leur part d’ombre. Pour Pollock, c’est l’alcoolisme qui fut son fardeau.
Né et élevé dans le cadre bucolique d’une Amérique profonde et moyenne, il grandit au sein d’une grande fratrie, dans une famille installée au cœur de l’Ouest américain. Très jeune déjà, il se passionne pour la culture indienne, entouré par d’immenses et d’indomptables plaines sauvages. La famille Pollock déménage à de nombreuses reprises, naviguant entre l’Arizona et la Californie. Le père de Jackson deviendra rapidement alcoolique, entrainant ses 5 enfants dans les tréfonds sombres de ses addictions

A 15 ans déjà, l’artiste en devenir montre les premiers signes d’un alcoolisme latent, qui le suivra jusqu’à sa mort : il est défaillant, quitte le lycée avant d’avoir terminé ses études, et se fait renvoyer d’une école d’Arts manuels. Quelques années plus tard, son père décède d’une crise cardiaque, sans doute liée à ses récurrentes crises d’ivresse.

Jackson Pollock, Painting A, 1950. Galerie Nationale d'Art Moderne, Rome, Italie. 

Malgré cet évènement tragique, Jackson se reprend et réussit doucement à limiter sa consommation d’alcool, profitant ainsi d’une vingtaine d’années de répit, grâce auxquelles il peut ainsi expérimenter, écouter du jazz et peindre toute la journée, du réveil au coucher.
Sa femme, Lee Krasner, son ami, Clement Greenberg, et son psychanalyste l’aident ainsi à canaliser ses émotions pour les intégrer à son œuvre, mais lui apportent aussi un soutien précieux pour documenter sa pratique et ses techniques, ainsi que pour attiser l’intérêt des collectionneurs et des institutions.

En dépit de cet entourage bienveillant qui éloigna Jackson Pollock de la perdition, son addiction n’était jamais loin, celui-ci replongeant régulièrement dans la débauche. Un soir d’aout 1956, alors que l’artiste a tout juste 44 ans et profite d’une sérieuse réputation, il trouve la mort dans un accident de voiture.
Ivre et roulant à une vitesse déraisonnable, il percute de plein fouet un arbre et succombe sur le coup. Son addiction eut ainsi irrémédiablement raison de lui.

2. Frida Kahlo : Drames et désinvolture

Tout le monde connait Frida Kahlo. Aujourd’hui considérée comme icone du féminisme et de la vie de bohème, on retrouve son visage et ses thèmes favoris sur toutes sortes de produits dérivés, de la Barbie pour enfants jusqu’aux coques de téléphone, en passant par les chaussettes de Noel. A de rares occasions, lorsqu’une de ses œuvres apparait aux enchères, les salles de vente s’affolent. Ce que l’on connait un peu moins, c’est la trajectoire de vie tragique qui se cache derrière les audacieux sourcils de l’artiste mexicaine.

Les premières difficultés apparaitront dès sa plus tendre enfance. A l’âge de 6 ans, on lui diagnostique une maladie rare, la poliomyélite (polio), une maladie pouvant entrainer la paralysie de certains muscles, parfois même la mort. Après plus de 9 mois passés à l’hôpital, Frida n’en ressortira pas indemne, puisque sa jambe restera atrophiée, et cessera de grandir. Cet épisode aura des conséquences physiques sur l’artiste, qui ne pourra plus se déplacer normalement, et des conséquences sociales : ses camarades de classe la surnommeront « Frida la coja », Frida la Boiteuse.

Après son 18ème anniversaire, le sort s’acharne à nouveau : elle est victime d’un atroce accident de bus alors qu’elle rentrait de l’école. Le bus percute un tramway, et plusieurs de ses camarades de classe décèdent sur le coup. Epargnée par la mort, Frida est pourtant loin d’être indemne : son abdomen et sa cavité pelvienne sont transpercés par une barre de fer, elle a plusieurs fractures à la jambe droite, son pieds droit est cassé, son bassin, ses côtés et sa colonne vertébrale sont brisés.
Elle restera alitée plusieurs mois à la suite de ces tragiques évènements. C’est dans l’intention de mettre à profit cette période de convalescence qu’elle décida d’expérimenter la peinture. Ses proches lui offrirent un miroir, grâce auquel elle pouvait constater les évolutions de sa rémission. Ce même miroir explique pourquoi Frida Kahlo a réalisé tant d’autoportraits au cours de sa courte carrière : un peu plus d’1/3 de ses œuvres sont des représentations d’elle-même (55 sur 143 tableaux).

A la suite de ce rétablissement, Frida Kahlo peut enfin profiter d’une période d’apaisement. Elle se rapproche du parti communiste mexicain, s’engage dans l’émancipation des femmes, et rêve de liberté, de voyage et de plaisirs frivoles bien mérités.

3 ans plus tard, en 1928, Frida fait une nouvelle rencontre qui bouleversera son existence : Diego Rivera. Cet illustre fresquiste mexicain, très engagé politiquement, et 21 ans plus vieux qu’elle, sera à la fois son collègue, son complice, son amant et son confident. Très vite, l’admiration qu’elle porte à ce personnage charismatique se transformera en fascination morbide et destructrice. Ils se marient en 1929, seulement 1 an après leur rencontre, et très vite, les écarts de conduite s’additionnent : Diego trompe son épouse avec sa petite-sœur, Cristina Kahlo, tandis que Frida entame différentes relations extraconjugales, dont une avec le célèbre militant communiste Léon Trotski. Profondément blessée par la liaison secrète entre son mari et sa petite-sœur, Frida exploitera cette douleur comme carburant créatif, et réalisera ainsi l’un de ses chefs d’œuvre : Quelques Petites Piqûres. Elle avouera elle-même « Il y a eu deux grands accidents dans ma vie. L'un était le chariot (tramway) et l'autre était Diego. Diego était de loin le pire. ».

Frida Kahlo, Quelques Petites Piqûres, 1935. Musée Dolores Olmedo, Mexico, Mexique. 

Malgré ces délicats évènements, la passion qui animent les deux protagonistes reste puissante. Au fils des années, le couple se sépare, se retrouve, divorce et se remarie. Les problèmes de santé de Frida se multiplient, sa fragilité et ses antécédents médicaux sont une faiblesse. Elle souffre de différentes maladies chroniques lors de ses voyages, ses douleurs à la colonne vertébrale deviennent de plus en plus récurrentes, et elle contracte une mycose aigue à la main, l’empêchant de peindre.

A partir des années 40, elle a l’obligation de porter un corset de fer pour maintenir sa colonne douloureuse. Cet étrange accoutrement déclenchera la réalisation du très célèbre Autoportrait à la Colonne Brisée. A partir des années 50, les difficultés de son existence s’accélèrent : elle subit de nombreuses opérations, doit rester clouer au lit durant de long mois, et, en 1953, elle se fait amputer de la jambe droite à la suite d’une gangrène. Malgré le soulagement de ses douleurs, l’atteinte à son intégrité corporelle est trop forte. Elle plonge alors dans une longue période de dépression, où les ambitions suicidaires se multiplient. Elle décède un an plus tard, le 13 juillet 1954, à la suite d’une embolie pulmonaire.

Frida Kahlo, La Colonne Brisée, 1944Musée Dolores Olmedo, Mexico, Mexique.

Ses derniers mots seront loin d’une fatalité morbide à laquelle l’on pourrait s’attendre : « J'espère que la sortie sera joyeuse… et j’espère bien ne jamais revenir. ». Huit jour avant sa mort, elle réalise sa dernière œuvre, une nature morte aux pastèques charnues, sur laquelle l’on peut voir inscrit « Viva la Vida », illustration supplémentaire du délicieux sarcasme dont Frida fut preuve tout au long de sa vie, en dépit des malédictions traversées au cours de son inspirante destinée.

 Frida Kahlo, Viva La Vida, 1954. Musée Frida Kahlo, Mexico, Mexique. 

1. Amedeo Modigliani : le dernier bohémien

Modigliani est l’un des plus illustre représentant de l’avant-garde parisienne du début du XXème siècle. La facture et le style inimitable que l’on reconnait aujourd’hui à ses portraits étirés aux regards vides et à ses nus sensuels aux tons chauds ne faisaient pourtant pas l’unanimité de son vivant. Ce désintérêt des institutions et des collectionneurs ne lui permit jamais d’obtenir une indépendance financière, séquestrant ainsi ses possibilités de rémission et de progression dans la maitrise de ses désastreuses accoutumances.

Modigliani cultive la légende de l’artiste maudit. Venu au monde dans une famille juive désargentée, sa mère soutient ses aspirations artistiques dès son plus jeune âge. Durant toute son enfance, Amedeo souffre de diverses maladies chroniques : il est d’abord atteint d’une fièvre typhoïde, puis d’une puissance pleurésie tuberculeuse. C’est au cours de ces différentes périodes de convalescence qu’il affirme sa volonté artistique. Il en profite pour dévorer les récits classiques de la littérature européenne, de Dante à Nietzsche, en passant par Baudelaire, développant ainsi de fortes capacités intellectuelles.

A l’adolescence, il voyage à travers l’Italie, et découvre l’atmosphère stimulante des grandes places artistiques, de Florence à Venise. Il expérimente un train de vie marginal, parcourant les cafés et les bordels, tout en fréquentant une communauté d’artistes cosmopolite et décadente, goutant tour à tour aux plaisirs de divers vices : sexe, alcool, haschich, occultisme, rébellion… Tous les ingrédients sont présents pour stimuler son inspiration et attiser sa déraison. Il profite de son temps disponible, lorsqu’il est sobre, pour enrichir ses connaissances en visitant la plupart des églises et musées aux alentours de ses lieux de villégiature.

En 1906, alors qu’il fête son 20ème anniversaire, il s’installe à Paris, où il rejoint de nouveaux amis fêtards et impudiques, tels que Maurice Utrillo ou Léopold Survage. Considéré comme le dernier véritable bohémien de son époque, il écume les cafés, librairies, bordels, musées et lieux de vie de la capitale. Sa situation financière très délicate le pousse à déménager à d’infinies reprises. Alternant ainsi les hébergements et accumulant les impayés, il doit sacrifier certaines de ses possessions matérielles pour faciliter ses déplacements, et détruit souvent ses toiles lorsqu’elles ne lui semblent pas suffisamment réussies. Pourtant bien entouré par ses contemporains, sa situation difficile et ses addictions l’isolent peu à peu. Sa consommation d’alcool et de haschich devient problématique. Cet alcoolisme volontaire se manifeste moins dans une volonté de stimulation intellectuelle que dans une solution palliative à ses douleurs physiques, qui s’aggravent du fait de son mode de vie déclinant et de ses mauvaises habitudes.

Amedeo Modigliani, Lunia Czechowska, 1918. Musée d'Art de Sao Paulo, Brésil.

Charismatique et séducteur, il survit plus qu’il ne vit durant plusieurs années, alternant entre discussions intellectuelles la journée, et sévères crises d’ivresse le soir. Il lui arrive de passer la nuit dans une poubelle, lorsqu’il ne se réveille pas en cellule après une altercation avec la police.

En 1917, il rencontre Jeanne Hébuterne, âgée de seulement 19 ans, de laquelle il tombe éperdument amoureux. Conscient de ses frasques et de son mode de vie toxique, elle représente pour lui sa dernière chance d’accomplissement. Malgré ses problèmes de santé qui le rongent à petit feu, créant chez lui de fréquentes crises de schizophrénie, le couple semble évoluer sans peine : Jeanne tombera même enceinte en 1918. L’artiste trouve enfin un semblant de repos grâce à sa bien-aimée.

Malheureusement, ses troubles bipolaires et ses addictions reprendront furtivement le dessus sur sa volonté d’accomplissement. Se sentant ainsi dépassé après la naissance de sa fille dans un contexte conflictuel, il décide de quitter femme et enfant pour retrouver sa liberté. Chez Modigliani, liberté rime vite avec débauche. Il reprend une consommation déraisonnable, et retombe fatalement dans ses excès passés. Ses symptômes tuberculeux s’aggravent de plus en plus rapidement, et ses souffrances deviennent handicapantes. Il décède en janvier 1920, à l’âge de 34 ans, aux portes du succès.

 

Evidemment, ces légendes d’artistes maudits sont loin d’être exhaustives, et nous avons volontairement décidé d’écarter Vincent Van Gogh de cette liste. Le plus célèbre de tous les artistes maudits fera l’objet d’un article entièrement dédié prochainement, sa légende étant trop vaste pour être synthétisée en quelques paragraphes. Nous espérons que ces histoires cinglantes vous ont intrigué autant qu’elles nous ont inspiré, et nous vous recommandons notre Collection d’œuvres inspirées des Grands Maitres, pour découvrir ou redécouvrir les trésors de la création moderne et contemporaine.

Bastien Alleaume
Content Manager - Artmajeur Online Art Gallery

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