3 Artistes Emblématiques qui ont Transformé la Publicité

3 Artistes Emblématiques qui ont Transformé la Publicité

Bastien Alleaume | 18 juin 2021 10 minutes de lecture 0 commentaires
 

L’art et la publicité entretiennent de très étroits liens. Embarquez avec nous dans une épopée artistique mêlant beaux-arts et communication : quand les artistes et leurs œuvres prêtent leurs services à la société de consommation.

L'histoire de l'Art et de la Publicité

A gauche : Roy Lichtenstein, Roto Broil, 1961. Musée d’Art Contemporain de Téhéran.
A droite : Roy Lichtenstein, Kitchen Range, 1961-62. Musée National d’Australie, Canberra.
 

Certains artistes illustrent à merveilles les passerelles existantes entre l’art, la publicité et la consommation. Dès la fin du 19ème siècle, les directeurs de cabarets avaient l’habitude de solliciter des artistes parisiens pour réaliser des affiches vantant les louanges et les excès de leurs soirées dansantes. Ce fut notamment le cas de l’emblématique Toulouse-Lautrec, et sa non moins célèbre affiche publicitaire réalisée pour La Goulue : des soirées masquées organisées par le Moulin Rouge et animées par une danseuse excentrique du même nom. 

A gauche : Henri de Toulouse-Lautrec, Affiche promotionnelle pour le Moulin Rouge – La Goulue, 1891. Musée de la publicité, Paris.
A droite : Henri de Toulouse-Lautrec, Affiche promotionnelle pour Les Ambassadeurs (Aristide Bruant dans son cabaret), 1892. Musée Toulouse-Lautrec, Albi, France. 

Ces deux affiches furent exposées simultanément lors de l’exposition Art et publicité organisée par le Centre Pompidou en 1990. 

Plus tard, au milieu des années 1950, c’est l’émergence du Pop Art outre-Atlantique qui submergera le monde de l’art d’intrusions publicitaires. Les conserves de soupe à la tomate d’Andy Warhol et les notices-produits stylisées de Roy Lichtenstein symboliseront cette nouvelle tendance : l’immixtion réciproque des Beaux-Arts au sein de la culture publicitaire. L’utilisation de produits de consommation courante par les artistes estampillés Pop Art fera rapidement ses preuves dans le monde des affaires. La Campbell Soup Company (entreprise américaine qui commercialise les fameuses conserves) ne pouvait rêver d’une meilleure stratégie marketing que celle offerte par le génie créatif d’Andy Warhol. Aujourd’hui, ces boites Pop Art sont devenues iconiques dans le monde entier, alors même qu’elles sont uniquement accessibles dans les supermarchés américains. Pour un industriel, voilà une manière efficace de rentrer dans l’histoire grâce à l’art : l’exposition de l’œuvre augmente mécaniquement l’exposition du produit.

Petit à petit, les frontières entre art, divertissement et produits de consommation se feront de plus en plus poreuses. Andy Warhol ira même plus loin, en prononçant cette célèbre phrase : “Quand on y songe, les grands magasins sont un peu comme des musées.”

Andy Warhol, Campbell's Soup Cans, 1962. Musée d’Art Moderne de New York.
(Si vous êtes fan de Pop Art, n'hésitez pas à découvrir notre article sur les œuvres emblématiques du mouvement)

Partout ailleurs, tout au long du 20ème siècle, de nombreux artistes légendaires prêteront leurs pinceaux aux marques afin de promouvoir leurs produits : par exemple, l’américain Edward Hopper et le belge René Magritte ont tous deux participé à ces mascarades commerciales afin de financer leurs jeunes années de création.

Depuis les années 1980, l’art n’a jamais été aussi présent dans les stratégies marketing et campagnes publicitaires des entreprises. Les premières collaborations entre Keith Haring et certaines marques emblématiques (Lucky Strike, Absolut Vodka, Quick) ont marqué l’avènement de coopérations sur le long terme entre créateurs et enseignes souhaitant (re)valoriser leur image auprès d’un certain public. Ces partenariats financent autant l’artiste qu’ils participent à la diffusion massive de son art : une proposition que les créateurs contemporains ne peuvent que difficilement refuser. Même en France, dans nos rayons de supermarchés, ces collaborations sont légion : Ben Vautier et les articles de papeterie Quo Vadis, Bebar et les bouteilles de Rhum Havana Club

A gauche : Keith Haring, Affiche publicitaire pour Lucky Strike, 1987.
A droite : Keith Haring, Affiche publicitaire pour Absolut Vodka, 1986.

D’autres marques se servent également d’œuvres tombées depuis longtemps dans le domaine public pour servir le propos d’une stratégie marketing : c’est notamment le cas de la marque La Laitière, qui reprend le chef-d’œuvre éponyme réalisé vers 1660 par Johannes Vermeer. On peut également citer Van Gogh, dont la turbulente trajectoire de vie permet désormais d’écouler plusieurs milliers de litres d’absinthe chaque année, puisque l’un de ses autoportraits orne les bouteilles de la marque Absente. De la même manière, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci illustra parfaitement les intentions du logo Man Power (service d’intérim et de recrutement) pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur 3 curieux cas dans lesquels le processus créatif d’un artiste a eu une influence énorme sur la notoriété d’une marque ou d’un produit, avec les exemples de Salvador Dali et la marque Chupa Chups, Victor Vasarely et le groupe Renault, et nous reviendrons enfin sur la (très) particulière influence de René Magritte, dont l’œuvre inspira et inspire encore une multitude de publicitaires au 21ème siècle.

Ces analyses précises nous permettront de répondre avec élégance et matière aux questions suivantes : Comment l'art influence la publicité ? Et pourquoi les publicitaires ont besoin d’art pour valoriser leurs produits ?

1. Salvador Dali et Chupa Chups 

La marque de sucettes sucrées que tout le monde connait aujourd’hui fut fondée en 1958 par l’entrepreneur espagnol Enric Bernat. Le nom provient de la contraction du verbe « chupar » (sucer en espagnol) et de l’onomatopée « chups » qui évoque le sifflement des lèvres lorsque la sucette ressort de la bouche. Pendant les premières années d’industrialisation, les ventes de sucettes se portent bien, mais elles ne sont malheureusement qu’une sucrerie parmi tant d’autres.

Cette gamme de bonbons n’aurait jamais atteint le succès qu’on lui reconnait aujourd’hui sans son fameux logo rondouillet. Le fondateur de l’entreprise prit rapidement conscience qu’une bonne marque n’est rien sans un bon logo : heureusement, il comptait parmi ses amis un légende moustachue du nom de Salvador Dali. Le chef de file du mouvement surréaliste accepta sans broncher de s’atteler à une réinterprétation du logo initial. Il modifia le détail du logo et il offrit ainsi à ces sucettes une identité visuelle aussi simpliste qu’iconique : une forme de marguerite et un code chromatique - jaune et rouge - rappelant les couleurs du drapeau espagnol. Le nom de la marque bénéficie également d’une typographie ronde et délicate, réhaussée par des courbes vives et attractives : ici, la gourmandise est de mise.


Images : Evolution du logo de la marque Chupa Chups. Intervention de Salvador Dali en 1969. 

Un choix de communication que la firme ne regrettera jamais : aujourd’hui, on estime que Chupa Chups vend plus de quatre milliards de sucettes par an : la moitié de la population mondiale a déjà gouté l’une de ces sucreries parfumées.

2. Victor Vasarely et le logo Renault

Si vous sortez régulièrement de chez vous (et on l’espère), il y a de grandes chances que vous croisiez ce logo iconique au moins une fois par jour. Mais saviez-vous que derrière ce petit losange gris se cache une véritable histoire arty ?

L’entreprise Renault a été créé en 1898. Depuis cette date, divers logos ont orné les véhicules de la marque : il s’agissait d’abord de deux « R » entrelacés qui représentaient les créateurs de l’emblème : les frères Renault. Ensuite, différents logos se sont succédé, en passant notamment par la représentation d’un char d’assaut durant la 1ère guerre mondiale. A partir de 1925, la marque adopte le losange grillagé, car celui-ci s’adaptait mieux aux lignes des capots de leurs produits. Il restera cependant très rustique durant plusieurs décennies.  

Images. Evolution de logo du groupe Renault de 1900 à 1925.

C’est en 1972, après avoir traversé deux guerres mondiales et d’innombrables nationalisations, que le groupe décide de s’offrir une nouvelle image, plus en phase avec l’évolution de la société et la mondialisation naissante. Ils décident alors de faire appel à Victor Vasarely et son fils, Yvaral, pour concevoir un logo épuré, lisse et beau. Un nouvel emblème pour de nouvelles ambitions.

Images. Evolution de logo du groupe Renault de 1946 à nos jours.

A l’époque, ce binôme familial avait déjà collaboré pour la réalisation de la façade des Studios RTL à Paris (désormais détruit). Victor Vasarely est un artiste franco-hongrois né en 1906, et surtout, il est le fondateur de l’Op Art (« Art Optique »), mouvement artistique qui se traduit par un ensemble de pratiques et de recherches basées sur les concepts de trompe-l’œil et d’illusions d’optique.

Victor Vasarely, OND-LZ, 1971. Cette œuvre est un parfait symbole de l’art optique. 

En quelques jours, le duo va dessiner un logo qui fera grande impression. Graphiquement épuré, symbole de modernité, il sera évidemment validé par l’entreprise, qui l’intègrera immédiatement à l’ensemble de sa stratégie de communication : campagnes marketing, affiches, publicités télévisées…
Les lignes et les légers détails présents aux angles du losange suggèrent ainsi le dynamisme du constructeur grâce à un délicat effet 3D qui lui offre consistance et caractère. 

Depuis, bien que le logo ait subit de subtiles variations, il conserve l’ADN injecté par le génie Vasarely. En 2021, Renault va dépoussiérer à nouveau son fidèle emblème. Chose rare dans les stratégies marketing, la marque a décidé de ressusciter le design original proposé par Vasarely. Un recyclage sobre et élégant, artefact survivant d’un artiste en avance sur son temps.

3. René Magritte : le surréalisme au service de l’imaginaire publicitaire

René Magritte, Le Fils de l’Homme, 1964. Détail. Collection privée.

Enfant ou adulte, conscient ou inconscient : tout le monde connait et reconnait l’œuvre de René Magritte. Avec son imaginaire léché, lumineux et profondément original, il a réussi à séduire l’opinion publique et faire adhérer les masses à la fougue du mouvement surréaliste. Là où, pour un public profane, le dadaïsme de Duchamp ou de Man Ray paraissait souvent absurde voire irritant, et où le surréalisme de Dali semblait bien souvent trop onirique et fantaisiste, René Magritte a su convaincre les plus réticents avec des œuvres calmes, géométriques, symboliques, aux antipodes de la surcharge systématique de ses homologues parisiens. L’artiste belge a réalisé plus de 1500 œuvres curieuses et détonantes, dans lesquelles se trouvent des éléments récurrents et emblématiques : des objets participant au mythe Magritte, désormais quasi-indissociables de son coup de pinceau. Pommes vertes, ciel bleu, nuages, portes, chapeaux melons, hommes en costumes, parapluies, oiseaux et lampadaires sont autant d’outils servant à l’élaboration d’une mythologie surréaliste sacrément bien pensée.

René Magritte, La Trahison des Images, 1928. Tableau exposé au Musée d’art moderne de Bruxelles. 

Le style de Magritte a impacté l’imaginaire publicitaire et la société de consommation de façon totalement inédite. Et c’est certainement parce qu’il s’est forgé en tant que communiquant dans ses jeunes années que ses œuvres sont devenues aussi marquantes dans la culture populaire. En 2021, rares sont ceux qui ne connaissent pas le célèbre tableau « Ceci n’est pas une pipe », de son véritable nom La Trahison des Images. De toute évidence, cette œuvre regroupe pourtant tous les éléments d’une publicité efficace : un message lisible qui interroge et une image percutante. En dehors de ces deux composants, il n’y a rien : le vide, le néant. Cette absence de connexion entre les deux éléments permet au spectateur de cogiter, de chercher une corrélation, de réfléchir et de consacrer du temps à l’analyse du tableau. C’est exactement ce que recherche un publicitaire lorsqu’il conceptualise une stratégie marketing : il souhaite que l’observateur s’arrête, réfléchisse et consacre son attention au profit d’un slogan ou d’un message, car c’est le premier pas vers la consommation d’un produit.

Pas étonnant donc que l’on retrouve cette particulière sobriété dans les campagnes publicitaires de notre époque, d’Apple à Netflix en passant par McDonald’s. Pas étonnant non plus que l’on découvre régulièrement ce tableau réinterprété à outrance par des annonceurs en manque d’inspiration, quitte à en anéantir le sens premier par des détournements irréfléchis.

Affiche publicitaire Allianz. Un bel exemple de mauvaise interprétation du message initial défendu dans le tableau de René Magritte. Détail : ‘This is a common finger squasher’ (Ceci n’est pas un marteau, c’est un écraseur de doigts). 

Même si René Magritte maitrisait à merveille les codes de la communication, il détestait la publicité. Il considérait même la pub comme étant « un art appliqué qui tue l’art pur ». Cela explique pourquoi sa peinture pouvait parfois apparaitre comme espièglement sarcastique. Il devait pourtant participer à ces mascarades pour subvenir à ses besoins alimentaires. C’est pourquoi il travailla pour de nombreux commanditaires bruxellois, principalement des joailliers et des couturiers, mais également avec une compagnie aérienne belge, Sabena (aujourd’hui disparue).  

Affiches d’une campagne marketing de la marque Absolut Vodka reprenant le style des œuvres de Magritte. 

Comme vous avez pu le constater, l’art et la publicité partage des liens bien plus complexes qu’il n’y parait. Du Citroën Picasso aux cafetières Keith Haring, en passant par les collaborations entre Louis Vuitton et Takashi Murakami, nous aurions pu évoquer bien d’autres situations éloquentes dans lesquelles l’art embrasse la publicité, pour le meilleur et parfois (souvent) pour le pire.

L’art, c’est déjà de la publicité. La Joconde aurait pu servir de support à une marque de chocolat, à Coca-Cola ou à tout autre chose.” (Andy Warhol, 1981).  

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