Ajouté le 13 janv. 2016
FRANCIS BACON, L'ART DE LA SENSATION
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« Je suis comme un moulin. J’ai tout regardé et tout ce que j’ai vu je l’ai absorbé et moulu très fin. Chez moi les images engendrent des images. » [1]
Un tableau est souvent l’expression de quelques passions d’un artiste qu’il transmet par les pigments colorés sur une toile. L’image prévaut chez Bacon comme une source et comme finalité. Il offre à voir quelque chose qui sort de son esprit, nous nous trouvons face à une image, qui n’a rien d’autre à affirmer que son caractère immédiat. Sans parler de sensation, de déformation, de réinterprétation, que dire des tableaux de Bacon ? Tant de chose et tellement peu. Comment expliquer la forme de cette Figure, la couleur de ces aplats ?
Je vais donc écrire sur Francis Bacon, peintre anglais au visage étrange et au geste sur. Gilles Deleuze m’a volé mon idée il y a plus de trente ans en me laissant dans l’expectative d’une florissante originalité de ma part, encore jamais découverte. Le philosophe a plus lu, et a plus réfléchit que moi, ses concepts peuvent être appuyés par toute une réflexion cohérente, mais les miennes seront légères et n’agissent qu’en surface pour un véritable amateur d’art et pourtant elles ne seront pas dépourvues d’intérêt car j’ai l’avantage du temps. Deleuze est mort, Bacon aussi et tous ceux que je citerai ici le sont tout autant. Donc aucun d’entre eux ne pourra me contredire. Et j’ai aussi l’avantage du recul sur l’époque, nous vivons aujourd’hui le XXIème siècle et le recul nécessaire pour juger d’une œuvre d’art du milieu du siècle dernier s’avère à priori suffisant.
L’ensemble de l’œuvre de Francis Bacon sera traitée à travers les thèmes du sacré et de la représentation par la sensation et de la définition de l’homme moderne qu’esquisse ses tableaux et ce dans le but de placer cet artiste à priori à part, dans un courant artistique du XXème siècle.
Etudes de nu avec personnage dans un miroir, Francis Bacon, 1969. Toile peinte à l’huile, 198 x 147,5 cm. Galerie Beyeler, Bâle.
Sur la toile sont présents divers éléments qui ne sont à priori pas ensemble par raison. Une table ronde qui ne conserve que ses pieds et son armature. Une planche plus ou moins rectangulaire la recouvre, et sur laquelle une Figure féminine nue est étendue, le bras derrière la tête pour s’appuyer et les jambes repliées. Bien que la table manque de « couvercle », son ombre forme bien un cercle noir au sol. La Figure allongée renvoie elle aussi une ombre dans son dos. La scène se situe sur un grand fond rose violacée, le même rose que prend la Figure par endroit, son genou droit notamment.
A droite, un grand rectangle. Une glace. Le fond y est bleu et renvoie l’image d’un homme en costume et chapeau. Il est assis sur une chaise, la jambe droite appuyée sur son genou gauche. Son regard est tourné vers la Figure centrale, lascive.
Les deux masses qui génèrent ces deux Figures sont suggérées sur le même plan. Le rond de la table s’oppose au rectangle qui est posé dessus auquel répond le rectangle de la glace. Le rectangle qui sert d’assise à la Figure centrale suggère la profondeur dans l’image. Il y a donc deux masses, qui forment deux Figures et deux éléments géométriques, le rond et le rectangle. Il s’agit donc d’une composition espacée, simple, qui présente deux groupes (femme-table/ homme-miroir).
Comme avec les formes les couleurs se répondent. Les traits de contours sont assez nets et délimitent nettement les objets du décor ainsi que la limite des corps. Le bleu de la glace et le rose violacé du fond. Le fond uni fait même office d’aplat et donne une couleur dominante à l’ensemble. Le contraste amené par l’ombre de la table et de la Figure créer une tension avec la couleur chaude de l’aplat ; de plus, l’ombre noir au sol répète la forme de la table comme un rappel, de sortes qu’il y a deux ronds et deux rectangles. Le noir permet aussi un rappel à l’homme dans la glace avec la couleur noir de son costume.
La lumière vient d’au-dessus de la scène, constat de la position de l’ombre de la table et de la femme au centre. Mais cette lumière n’est pas dû à un éclairage orientée, il s’agirait plutôt d’un éclairage par la couleur directement, le bleu de la glace, le corps de la femme sont les sources lumineuses du tableau.
La tendance figurative de l’œuvre est incontestable, bien qu’étrange la femme au centre est reconnaissable par ses membres, ses seins, ses cheveux. L’homme l’est aussi par sa tête, son chapeau, son pied aussi. Mais ces formes anthropomorphes sont plus suggérées que décrites, surtout pour l’homme dans le miroir, on ne le reconnait que par des signes habituels de représentations, la chaussure, le chapeau et le col du costume. Les influences de l’œuvre dont nous parlons sont difficiles à définir. Tout au plus pourrait nous voir dans la Figure centrale, la reprise de l’Olympia, allongée dans une attitude détendue. Ce qui contraste avec l’homme tout habillé, en présence de ces deux éléments le rappel à Manet est assez éloquent.
Cette Etudes de nu avec personnage dans un miroir ne peut se comparer ou rentrer en adéquation avec aucune peinture moderne, il s’agit ici d’un style très particulier que celui de Francis Bacon. Cela dit, la vision du corps comme déformé avec une exagération de la mâchoire de la Figure centrale renvoie à Soutine avec sa vision de la chaire, peut être aussi à Van Gogh dans le brouillard de la Figure de l’homme dans le miroir. L’on pourrait se contenter d’y voir la une réinterprétation du tableau de Manet par le très moderne Francis Bacon, mais ce style qu’affirme le peintre anglais est réellement nouveau et révélateur d’un pas en avant dans l’Histoire de la peinture.
Voilà en quelques lignes à quoi ressemble un tableau de Bacon dans une description basique, que dire de plus ? Mais qu’est-ce que cela représente, qu’a cette peinture de figuratif ? Pourquoi la femme au centre parait si difforme, et l’homme en voyeur tapis dans le miroir est-il en train de regarder la femme ou bien est-ce la femme qui en se regardant se fait elle-même voyeuse, ou alors l’image de l’homme est le reflet de la femme tout simplement. L’art de Francis Bacon fait appel à des réponses compliquées noyées dans des formes étroites, presque abstraites par moment. Une peinture savante au service d’un marginal. Bacon réinterprète les plus grands, à sa manière et les pose dans une réalité toute consommée, qui ne leur laisse aucune pudeur, aucune innocence. Les Figures de Bacon sont toutes coupables, celui qui regarde, celui qui se montre, celui qui cri ou celui qui rit.
[1] Michael Pepiatt, Francis Bacon à l’atelier, 1999, Echoppe, p.35
[2] Deleuze, Logique de la sensation, 1981, L’ordre philosophique p.95
[3] Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966
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