L’intelligence artificielle générative va-t-elle vider l’acte créatif de son sens, puisque celui-ci devient accessible à tous et à chacun ? Cette question agite beaucoup les milieux de l’art en ce moment. Des craintes s’expriment, depuis le pillage du droit d’auteur des artistes - dont les œuvres peuvent être "capturées" sur internet dans le but d'entraîner des modèles d’IA qui pourront ensuite générer de nouvelles créations -, jusqu’au danger que représenterait le « prompt art » pour l’authenticité de la création artistique, qui repose avant tout sur le désir, l’inspiration, l’intention de l’artiste, dispositions dont les IA sont naturellement dépourvues.
À ces débats fiévreux, qui animent aussi la sculpture, l’écriture, le cinéma ou la musique, est-il possible de contribuer avec mesure et raison ? Je le crois, en ma qualité d’amateur d’art, mais aussi de co-créateur d’une start-up qui s’efforce de marier l’art et l’IA. Celle-ci peut faire entrer l’art dans une ère nouvelle, car elle ouvre toutes grandes les portes de la création mondiale au plus grand nombre. Grâce aux nouveaux outils, les collections des musées et des galeries seront non seulement encore plus accessibles, mais les œuvres pourront être expliquées, situées dans leur contexte. Il sera aussi possible de dialoguer avec les artistes, grâce à la réalité virtuelle et à l’IA générative.
L’art, qu’il soit patrimonial ou contemporain, ne sera plus seulement un univers de professionnels ou d’amateurs éclairés, mais de tous ceux qui voudront bien s’y intéresser, leur apportant un regard irremplaçable sur le monde. Démocratiser l’art, c'est insuffler un renouveau culturel qui stimule l'imagination et apporte un élan positif à nos vies. Et l’IA peut être un outil efficace pour aider les jeunes créateurs à exposer et expliquer leur travail, à côté des canaux traditionnels que sont les galeries.
L’IA peut-elle tuer l’acte créatif en le rendant presque automatique ? Certainement pas s’il s’agit de demander à une IA de « produire » un nouveau Van Gogh ou un nouveau Pollock à partir de la rédaction d’un prompt. En revanche, elle peut aider un artiste dans son travail de création, et certains artistes contemporains y ont déjà recours, comme ces auteurs de bandes dessinées qui nourrissent des IA avec leurs propres œuvres pour accélérer les tâches répétitives. Bien sûr, la machine ne remplacera jamais l’intelligence émotionnelle et pratique de l’artiste, mais l’IA peut aider ce dernier dans son processus créatif, comme un regard extérieur qu’il solliciterait à volonté. Capable d’une vision de haute précision des œuvres, l’IA établit des parallèles et tisse des liens entre le monde de l’artiste et l’histoire de l’art, la nature, l’univers. Elle ne créera pas à la place de l’artiste, mais jouera un rôle de partenaire bienveillant, en augmentant et organisant l’“Atelier d’Idées” de l’artiste (iconographie, références, projets embryonnaires…), pour qu’il se consacre pleinement à la création.
En outre, il ne faut pas jeter le « prompt art » aux orties. Celui-ci peut être utilisé pour générer des croquis ou esquisses, soumis à l'interprétation de l'artiste pour donner un nouveau souffle à son travail. Il peut aussi se développer pour aboutir à la production d’œuvres créatives et originales, même si elles exploitent d’autres images et d’autres créations. Cela pose naturellement la question du droit d’auteur : l’AI Act européen stipule que les grands modèles d’IA générative doivent le respecter et publier sources et résumés de contenus. Mais c’est un texte jeune, à peine entré en application, et il faudra s’assurer que les droits des artistes seront bel et bien protégés. Des solutions techniques existent d’ailleurs, qui permettent de rendre des banques d’images illisibles aux IA.
Évitons donc de charger l’intelligence artificielle de dangers qu’elle n’a pas encore créés. Bien au contraire, évaluons les opportunités qu’elle ouvre pour rendre notre monde plus ouvert à l’art et l’art plus accessible à tous.