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Mona Bessaa

Back to list Added Feb 17, 2018

Œuf et gastronomie au XVIIè siècle (3/3)

La nouvelle cuisine

Dans L’art de bien traiter (ouvrage curieux et fort galant), célèbre livre de cuisine publié en 1674, son auteur, un mystérieux L.S.R Robert, déclare : « Aujourd’hui une pléthore de plats, une abondance de ragoûts et autres salmigondis, un prodigieux entassement de viandes ne suffit plus à constituer une bonne table (…), que le mélange confus d’épices, les montagnes de rôtis, ni même le succession de services dans lesquels il semble que la nature et l’artifice aient été entièrement épuisés (…). Ce qui compte, au contraire c’est l’excellence dans le choix des viandes, la délicatesse de leur assaisonnement, ainsi que le soin et la courtoisie avec lesquels elles sont présentées ».

Ainsi, la cuisine des anciens commence à être critiquée. A ses règles compliquées, succède la « cuisine moderne », plus simple, plus légère et toute aussi nourrissante. Les ingrédients et surtout la façon de les accommoder subiront alors une évolution rapide et radicale. Une nouvelle génération de chefs et d’auteurs culinaires décidait de remettre en question les habitudes héritées de leurs prédécesseurs, il s’agissait essentiellement de énoncer le manque de respect accordé au produit.

Entre les cuisines des 17 et 20è siècles, de nouveaux ingrédients font leur apparition. Les chefs d’alors adoptèrent souvent des composants jusque-là écartés car jugés indignes d’être servis aux nobles. C’est ainsi qu’on assiste à l’introduction massive de toutes sortes de légumes, innovation importante au regard de l’époque précédente où la viande rôtie s’inscrivait au centre de tous les repas.

Au 17è, les cuisiniers avaient déjà commencé à présenter des repas élaborés avec minutie et comportant un nombre de plats importants. Au cours des deux siècles suivants, la tendance se confirma. Cette incroyable profusion de mets apparait clairement dans les peintures de l’époque où le moindre centimètre de table est recouvert de plats. Il ne faudrait pas cependant en conclure que les convives mangeaient à l’excès. L’explication est ailleurs : personne ne se servait de tous les mets proposés à chaque service, cela aurait été impossible, ne serait-ce que du fait que ces innombrables plats ne restaient posés sur la table qu’entre vingt et vingt-cinq minutes. Chaque convive sélectionnait quelques mets par services, deux ou trois peut-être, et se confectionnait ainsi un repas personnalisé.

Sur les tables, la vaisselle métallique est supplantée par la porcelaine importée de Chine. Les cafetières, les jattes en faïence prennent place en cuisine. On découvre l’épicier ou le chocolatier, le traiteur, puis le restaurant les jours de fêtes. Des dictionnaires répertorient les ingrédients, les préparations de base, leur qualité et défaut médicaux, les méthodes culinaires et les repas mémorables.

Les sciences vont s’intéresser à l’importance du goût. En témoignent les multiples articles de l’Encyclopédie.  A une société qui s’élève par la culture doit correspondre une gastronomie subtile. La cuisine est bien un art, porté à son excellence par les Français sous Louis XV. Mais, à l’exemple des maîtres italiens de la Renaissance, elle doit ravir le palais sans l’empoisonner par des complications superflues.

Tous n’appréciaient pas cette nouvelle cuisine. Ainsi Voltaire écrit-il en 1734 à l’un de ses amis qui le prie de dîner : « il y a des nourritures fort anciennes et fort bonnes dont tous les usages de l’Antiquité se sont fort bien trouvés. Vous les aimez et j’en mangerai volontiers avec vous ; mais j’avoue que mon estomac ne s’accommode pas à la nouvelle cuisine. Je ne peux souffrir un ris de veau qui surnage dans une sauce salée, laquelle s’élève quinze lignes au-dessus de ce petit ris de veau. Je ne puis manger un hachis composé de dinde, de lièvre, de lapin et que l’on veut me faire prendre pour une seule viande. Je n’aime ni le pigeon en crapaudine, ni le pain qui n’a pas de croûte… (1).

Rousseau quant à lui prône plus simplement les régimes végétariens, le fromage et les fruits, déclarant qu’il n’y a que les Français qui ne savent pas manger puisqu’il faut un art si particulier pour leur rendre les mets mangeables. Dans les Confessions, Rousseau déplore cette cuisine trop élaborée. Que n’aurais-je pas donné dit-il, pour une simple omelette au cerfeuil. Il dénonce encore l’excès de raffinement culinaire, refusant les cerises en plein hiver au nom de la santé.

Au cours de ce siècle aux tables fastueuses, il est fait grand cas de l’œuf. On apprécie toujours sa simplicité et les multiples recettes auxquelles il se prête. Les œufs à la coque rencontrent un grand succès chez les bourgeois. Louis XIV se montrait gourmand de « vents », meringues de blancs d’œuf et de sucre cuites au four. Quant à Louis XV, il se régalait d’œufs à la coque tous les dimanches. C’était un spectacle offert aux Parisiens qui venaient en famille admirer la dextérité du souverain. Au milieu d’un silence quasi religieux, il faisait sauter le petit bout de l’œuf d’un seul coup de fourchette tandis que l’huissier annonçait : « Attention ! Le Roi va manger son œuf ! ». En conséquence de quoi, on installa à Versailles, dans le château même, les pondeuses royales dont les meilleurs suivaient la Cour dans ses déplacements.

 

L’œuf, un aliment sain

Selon Lombard L.M. (2), les œufs constituent une alimentation saine, nourrissante, éminemment réparatrice. Fraichement pondus et dégustés mollets, cuits à la coque, ils se digèrent bien et conviennent aux enfants, aux vieillards, aux convalescents. En raison de la promptitude avec laquelle ils réparent le sang, ils sont forts utiles dans les cas d’affaiblissement causé à la suite d’hémorragie, de diarrhées ou de dysenterie. Durs ou mêlés à du beurre,  du lard ou autres ingrédients, ils se digèrent plus difficilement et ne conviennent guère qu’en état de santé ; encore est-il certains estomacs qui ne s’en accommodent pas. C’est l’expérience de chacun qui doit guider à cet égard.

Les médecins disciples d’Hippocrate de Cos, tel Celse, recommandent les œufs peu cuits comme le « bon suc », c’est-à-dire plus nourrissants.

Jean-Siméon Chardin. Les aliments de la convalescence, 1747, 46 x 37 cm. Washington, National Galery of Art.

 

Il est des préparations revigorantes à ne pas oublier, tel l’œuf dans le bouillon, préparation stimulante pour les sportifs ; la «soupe à la reine» est une soupe de lait préparée avec deux œufs battus, les « laits de poule » sont recommandés aux personnes malades ; la « crème américaine » dont la base est composée d’œufs battus, d’eau-de -vie et de sucre (3).

Autrefois, on citait divers moyens de conserver les œufs, comme de les encaisser avec des cendres résultant de la combustion de bois neuf auquel on aurait joint des sarments de genévrier, de laurier, etc. ou tous autres bois odoriférants. On mêlait alors à ces cendres une certaine quantité de sable fin bien sec. On réussissait encore parfaitement bien à conserver les œufs en les laissant dans de l’eau de chaux. C’était un excellent moyen qui n’avait d’autre inconvénient que de rendre la coquille de l’œuf plus tendre et plus fragile. Un autre mode bien simple et dont les résultats ne laissaient rien à désirer, consistait à faire cuire comme pour les manger à la coque (un peu moins cependant), des œufs pondus le jour même de l’opération. En les sortant de l’eau, on les enveloppait de sel et les tenait en lieu frais. Lorsqu’on voulait se servir de ces œufs, il ne restait plus qu’à les faire réchauffer dans de l’eau bouillante. On avait ainsi l’avantage, au bout de quelques mois de conservation, de manger des œufs aussi frais, aussi laiteux, aussi  agréables au goût que s’ils venaient d’être pondus. On conservait encore les œufs dans du son, de la sciure de bois, du papier journal ou dans de l’ouate.

On faisait anciennement des conserves d’œufs « entre les deux Notre-Dame », c’est-à-dire entre le 15 août et le 8 septembre, époque où ils étaient de meilleure qualité et bon marché. Comme le précisait Parmentier en 1806, on peut juger de la fraicheur d’un œuf en le présentant devant une chandelle. Un œuf plein et transparent témoigne de sa fraicheur. On peut aussi plonger l’œuf dans un bain d’eau salé. A deux ou trois jour, il reste vertical au fond du récipient. A quatre jours, toujours en position verticale, il affleure la surface du liquide. Après cinq jours, il tend à flotter dans une position d’autant plus horizontale qu’il est vieux.

 

Le pique-nique

Le repas champêtre est une pratique qui remonte à la nuit des temps.  Adam et Eve se partageaient le fruit défendu de l’Eden, hommes des cavernes, pèlerins du Moyen Age, guerriers, vagabonds, chasseurs, voyageurs, monarques et manants, tous par hasard ou  nécessité ont gouté aux charmes et aux rigueurs de ces déjeuners sur l’herbe. Qu’il soit organisé ou improvisé, qu’il soit collation aristocratique, repas de chasse, médianoche galant (repas du soir que l’on prenait après minuit, après un jour maigre) ou partie de campagne familiale et dominicale, le pique-nique suggère l’informel, la pause, la détente, la liberté, le plaisir. Un plaisir de tous les sens, plaisir de chère et de bonne chère, généralement bien arrosé. Voilà donc un repas polymorphe qui peut s’improviser n’importe où, n’importe comment et qui satisfait toutes les bourses et tous les appétits.

Le pique-nique peut être aussi une « fête galante » (du vieux français galer : s’amuser), carrousels, comédies, soupers, médianoches et feux d’artifices. Ces divertissements s’étalent généralement sur plusieurs jours et reposent sur le principe de la métamorphose, les bosquets deviennent des salles traitées comme des intérieurs, somptueusement illuminés et décorés.

De quoi se compose donc ce repas en plein air ? Entre la modestie d’un repas solitaire composé d’une tomate et d’un œuf dur ou d’un sandwich, le grappillage dans la nature auquel se livre le randonneur et les bombances des fêtes champêtres ou royales, l’écart gastronomique est grand. En général cependant, le plat se sert froid. Quand la faim se fait sentir, on déploie les nappes à carreaux, on sort les serviettes, les pilons de poulets rôtis la veille ou le veau froid, et on casse des œufs durs. On les savoure avec délice ces œufs durs parfois légèrement mollets relevés avec quelques grains de sel qu’on y dépose avant chaque bouchée. Si l’œuf dur est quasi inévitable dans la composition d’un pique-nique, c’est parce qu’il est idéal pour être transporté. Petit, nourrissant, préservé dans son emballage naturel, il ne redoute ni les chocs ni l’humidité.

L’œuf dur est également un aliment idéal pour le voyageur. Le marin, qu’il embarque pour la journée ou le tour du monde, sait prévoir le temps et les denrées nécessaires à s survie. Il sait que pour rester frais durant des semaines, les œufs doivent être au préalable huilés avant d’être soigneusement rangés à l’abri de la lumière.

 

1. Œuvres de Voltaire avec des remarques et des notes historiques, scientifiques et littéraires. Correspondance générale. Tome XI, P. Pourrat Frères, Paris : 1839.

2. LOMBARD, L.M. Le cuisinier et le médecin. Marseille : Laffite Reprints, 1980.

3 cf. CASTELOT, André. L’histoire à table. Si la cuisine m’était contée… Paris : Plon, Perrin, 1972 – p. 485.

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