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Mona Bessaa

Back to list Added Feb 7, 2018

La symbolique de l'oeuf (1/3)

Le symbole est destiné à l’origine à voiler aux profanes les vérités sacrées tout en laissant celles-ci apparentent pour ceux qui savaient lire. Une fois intégrées dans les symboles, ces vérités deviennent transmissibles selon les possibilités de l’esprit et de la sensibilité de chacun ; la connaissance de clés pour déchiffrer les symboles pouvait être nécessaire. C’est pour cette communication que le symbole a été choisi par les civilisations anciennes et par les cultures primitives. Le concept de symbole leur a survécu mais il a été vivement attaqué par le cartésianisme et le monde moderne.

Le symbole, ce langage à la fois mystérieux et révélateur, a toujours été étroitement liés à l’art. Et bien souvent, les artistes ont appliqué leur talent à exécuter des œuvres dont le contenu symbolique leur était suggéré par d’autres hommes attachés aux traditions ou même par les prêtres, qu’il s’agisse de religion païenne ou du Christianisme.

Le symbole a un sens proche de celui d’analogie emblématique (la colombe est le symbole de la paix, la croix latine le symbole du christianisme…). Le symbole indique une figuration condensée, une idée générale. Le mythe lui est narratif et déploie un univers d’images et de paroles. Ainsi, la symbolique se prolonge dans le mythe qui est un discours tandis que le symbole est par essence, soit muet, soit énigmatique.

1- L'Œuf primordial

L’histoire de l’œuf commence dès l’origine du monde et s’enrichit rapidement d’une forte symbolique quasi-universelle selon laquelle notre univers serait né à partir d’un œuf. Cette naissance cosmogonique revêt autant de formes qu’il y a de peuples. Seront retenus ici, surtout les symbolismes les plus répandus.

En Grèce primitive, le mythe de l’Œuf originel narre comment la Nuit primordiale, surnommée « la déesse aux ailes noires a été courtisée par le vent du Nord, c’est –à-dire par le serpent. De cette rencontre est né l’œuf d’argent, autrement dit la Lune. C’est le mythe orphique où l’Œuf d’argent symbolise la révélation de la vie et de l’Être.

Selon la doctrine d’Hermopolis, l’œuf du monde est « pondu » par un « oiseau merveilleux ». L’oiseau est en fait, le Grand Étang Marécageux (le chaos originel). L’acte (« la ponte ») est le fait de la révélation du mystère et non un phénomène naturel.

La genèse de P’en Kou en Chine décrit comment l’Ancêtre des mille êtres de l’univers » est née de l’Œuf primordial dans lequel se trouvait, à l’état indistinct, le Ciel et la Terre avec toutes les créatures non encore parvenues à l’existence. D’autres héros chinois sont nés ultérieurement d’œufs fécondés par le soleil ou de l’ingestion d’œufs d’oiseau par leur mère.

Les Égyptiens qui croyaient à la renaissance promise par Osiris, font prononcer au mort au moment de son passage dans l’au-delà, la formule de l’Œuf primordial avec lequel désormais il s’identifie. L’œuf est d’une grande importance dans la religion égyptienne, il est le symbole du cycle naissance-mort-résurrection.

L’image de l’oiseau revient dans la pensée indienne. L’Œuf du monde a été pondu par la farouche et solitaire Durga. Même le dieu Brahmâ est né de cette déesse-vie. Durga doit être symboliquement identique au cygne qui a pondu l’œuf d’or d’où est sorti Brahmâ.

Ainsi, l’Œuf primordial, ou Chaos en forme d’œuf, est toujours défini comme réservoir de toutes les possibilités d’existence. Le symbole de l’œuf concerne ici la connaissance de ce qui était avant la création. Le fond sacré de l’œuf est représenté par le principe de l’Un (l’Un comme le principe des choses) et par la finalité de la Genèse créatrice du monde (Cosmos, Dieux, Hommes). L’Œuf primordial se révèle donc comme le passage de l’Incréé à la Création. Toutes les origines et tous les commencements dont rend compte l’œuf symbolique décrivent le passage de l’Un au Multiple, du Chaos à l’Ordre, de la non existence à la vie. En même temps, l’Œuf symbolise la nostalgie de l’état primordial, le retour à l’informel, à l’état embryonnaire, à la matrice des choses. Et le cycle de la naissance et renaissance se poursuit…

 

Vishnu. Gouache sur toile, 155 x 102 cm (XVIIIè s.), Népal. Vishnu est une manifestation de l'homme cosmique. Il émane de son nombril une tige de lotus sur laquelle Brahma est assis.

 

L’œuf cosmogonique

Le mythe de l’œuf cosmogonique se retrouve chez la plupart des peuples où la pensée traditionnelle n’a pas été remplacée par la théologie de type biblique.

Selon le texte de la Chândogya Upanishad (Inde), « au commencement il n’y avait que le non-être. Il fut l’Être. Il grandit et se changea en œuf. Il reposa toute une année, puis se fendit. Deux fragments de coquilles apparurent : l’un d’argent, l’autre d’or. Celui d'argent, voilà la terre ; celui d'or, voilà le ciel. Ce qui était la membrane externe, voilà les montagnes ; ce qui était la membrane interne, voilà les nuages et les brumes; ce qui était les veines, voilà les rivières; ce qui était l'eau de la vessie, voilà l'océan. »

La même symbolique cosmogonique se retrouve dans la pensée chinoise ou le Tao : l’œuf en tant qu’état pré-ontologique du mystère se fend en deux principes : le Yin et le Yang. Le Yin représente la coquille « terre » et le Yang, la coquille « ciel ».

Dans d’autres mythes, il est fait appel au serpent pour qu’il « couve » l’œuf pondu par la déesse-oiseau. Il s’agit d’Ophion, le serpent qui s’enroule autour de l’œuf primordial à sept reprises (7 jours). L’œuf éclot et se brise passant ainsi de l’état virtuel à l’état visible. Le serpent qui couve l’œuf du monde se retrouve également chez les Dogons d’Afrique occidentale.

L’œuf cosmogonique traduit donc le passage de l’Un qui devient deux.

Mona Bessaa, Oeuf orphique. Pointe sèche, 15 x 12 cm.

Le serpent couvant l'Oeuf du monde est le symbole mythologique de l'énergie créatrice.

 

3- L’œuf androgyne

L’Œuf du monde, dès lors qu’il est à l’origine des dieux ou des hommes (anthropogonie), possède une nature double ou androgyne. En l’occurrence, le Principe assume le rôle du masculin et la Finalité, celui du féminin. Platon aborde cet aspect dans Le banquet : « Jadis, raconte Aristophane (l’un des convives), notre nature n’était pas ce qu’elle est à présent, elle était bien différente. D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, la femelle et, outre ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu. C’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, mâle et femelle, dont elle était formée ; aujourd’hui elle n’existe plus, ce n’est plus qu’un nom décrié ».

L’androgyne ovulaire tient une grande place dans la cosmogonie des Fali. On sait que pour ces habitants du Kangou au Cameroun, la terre est née d’un œuf de crapaud et d’un œuf de tortue, chaque œuf tournoyant dans le sens contraire de l’autre. A ce moment raconte le mythe, « les sexes n’étaient pas complètement différenciés, les enveloppes internes représentaient à la fois la semence masculine et l’humidité féminine. Chacun des œufs considérés séparément est comparé à un couple procréant, et leurs mouvements contrariés sont ceux d’un accouplement ; les deux œufs ensemble sont considérés comme formant un couple » (1).

L’état d’androgynie primitive convient davantage aux dieux qu’aux hommes. Éros, le premier des dieux, avait des ailes, deux sexes et quatre têtes. Éros représente la vie dans sa finalité germinative. Dans le chaos de la cosmogonie japonaise, c’est d’un œuf androgyne qu’il s’agit (naissance du ciel masculin et de la terre féminine).

La naissance des Dioscures renvoie à l’œuf créateur. Les quatre jumeaux (deux mâles et deux femelles) sortent de l’œuf de Léda. Ils forment deux couples, ainsi l’œuf de Léda devient androgyne. En effet, Castor est associé à Clytemnestre et Pollux à Hélène. Les deux couples ressemblent à deux jumeaux « androgynes » dans l’œuf scindé en deux.

Léda, attribué à Francesco Melzi (1493 ? - 1570), huile et résine sur bois, 130 x 77,5 cm. Florence, Italie, Palazzo Vecchio.

 

Le premier couple de jumeaux à comme père légitime le roi Tyndare de Sparte, époux de Léda. Le second couple doit sa naissance aux ébats amoureux de Zeus métamorphosé en cygne. Selon une autre version, Léda avait trouvé dans le marais un œuf rouge orangé qu’elle rapporta chez elle et cacha dans un coffret. De cet œuf sortie Hélène de Troie. « Selon certains, cet œuf tomba de la Lune, comme celui qui autrefois fut immergé dans l’Euphrate, puis tiré sur le rivage par des poissons et couvé par des colombes. L’œuf lunaire s’ouvrit pour laisser sortir la déesse syrienne de l’Amour. D’autres disent que c’est la déesse elle-même qui pond l’œuf du monde, après s’être unie avec le serpent Ophion, pour le couver ensuite sur les eaux en prenant la forme d’une colombe » (2).

L’androgynat constituait la perfection de l’état primordial.

 

4- L’œuf pascal

L’œuf pascal symbolise la foi en la Résurrection, le « germe » de la vie nouvelle, celle d’après la mort, la vie éternelle. C’est une sorte de naissance spirituelle dans une nouvelle cosmogonie. La résurrection apporte une nouvelle dimension à l’existence, celle de l’immortalité. C’est pourquoi le rite sacré de l’Œuf est aussi une « sortie du tombeau ». Dès lors, l’œuf pascal est à la fois tombeau et nid. Il est tombeau pour l’ancien : Adam meurt dans le Christ, la nature meurt en hiver, l’homme meurt au monde. Il est berceau pour la renaissance du « nouveau ».

L’œuf est « pascal » parce que son sens comprend la mort (le tombeau) comme un élément de la trinité osirienne (vie-mort-survie). Il est normal que chez les Égyptiens qui croyaient fermement à l’immortalité, l’œuf soit évoqué dans toutes les formes funéraires.

Osiris a été tué par son frère Seth. Les deux frères se partageaient les 24 pyramides enfermées dans l’œuf d’Osiris. La pyramide, c’est évidemment le tombeau. Osiris dispose de 12 pyramides blanches, Seth de 12 pyramides noires. Le symbolisme est clair : seules les pyramides osiriennes sont porteuses d’une immortalité car elles sont pures (blanches). Osiris tué par son frère renait dans la vie éternelle, suprême métamorphose de la vie. L’œuf d’Osiris est pascal parce qu’il s’agit de sortir de la mort. La position recroquevillée du mort dans la tombe est osirienne. Elle imite la position du fœtus dans la matrice : la seconde naissance répète la première mais sur le plan de l’âme. C’est ainsi qu’on devient « Osiris », comme on devient selon la parole de Saint Paul, identique au Christ ressuscité.

Le symboliste de l’œuf pascal trouve son expression universelle dans l’oiseau-Phénix. En effet, cet oiseau fabuleux illustre bien le processus de l’immortalisation de la vie qui « renait de ses cendres ». Le Phénix est un oiseau d’Éthiopie, grand comme l’aigle royal, dont on disait qu’il vivait pendant 500 ans ou même plus. Au terme de ses années, lorsque la mort approche, le Phénix construit un nid auquel il communique un principe de fécondité d’où doit naitre son successeur. Ainsi donc, le Phénix qui se sent mourir, pond l’œuf (principe de fécondité) : c’est son retour à la vie informelle, au principe Un de l’œuf. Son nid devient sa tombe. Mais l’œuf est, de par sa nature fécondatrice, finalité de la vie : la tombe devient le berceau du nouveau Phénix.

La sublimation pascale de l’œuf (passage, résurrection, immortalité) s’identifie désormais au symbolisme de l’oiseau qui renait de ses cendres.

L’œuf de Pâques symbolise donc le principe du renouveau. Jadis on échangeait des œufs colorés en rouge, à la fête de l’équinoxe de printemps. Aujourd’hui encore, on en offre à Pâques dans une partie de l’Europe de l’Est et de l’Ouest). Dans les pays orthodoxes, on prononce en même temps la phrase « le Christ est ressuscité ». L’œuf est donc estimé là encore être un symbole de résurrection.

A Pâques, fête de la résurrection du Christ, les enfants cherchent dans les jardins des œufs cachés qu’ils pensent tombés du ciel.

La vierge avec l'Enfant, Piero della Francesca (1410-1492), Milan, Italie, Pinacothèque Brera.

Dans ce tableau de Piero, un oeuf est suspendu à la voûte, au dessus de la vierge, sans doute l'oeuf cosmologique ou symbole de résurrection (d'autres interprétations ont été proposées : évocation de perfection formelle ou d'un espace centralisé, harmonieux et symétrique propre à de nombreux peontres de la Renaissance...).

 

A notre époque, les œufs en chocolat ou en sucre sont vendus au printemps, saison du renouveau de la nature qui sort du tombeau de l’hiver. C’est aussi le « nouvel an » car jusqu’au décret de Charles IV en 1594, le Nouvel An commençait au printemps.

En Iran, les œufs colorés sont le cadeau spécifique du Nouvel An (dans ce pays, l’année commence en mars). Et, en Perse, Babylone, Chine, il était de coutume de manger des œufs le Jour de l’An.

L’œuf est donc li&eacu

Artmajeur

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