edith-2.jpg Painting by Jean-Noël Ducat

Bien sur qu’Édith s'en souvient.
Elle était assise dans la grange et regardait à travers la porte sa mère qui se balançait dans son rocking-chair une bouteille de Brandy à la main et qui venait de s'envoyer une coulée à travers le gosier puis elle planqua son précieux breuvage sous sa robe aux couleurs passées, entre ses jambes. Elle s'essuya la bouche d'un revers de manche et replaça son cigare entre ses dents. Elle le ralluma une nouvelle fois, vu qu'il n'en finissait pas de s'éteindre, Lorsque que le vieux ford pick-up est arrivé. Il se braqua puis il s'immobilisa en laissant autour de lui un nuage âcre de poussière.
La mère continuait de faire couiner le rocking-chair. De ses dents dont ils en manquaient quelques- unes, s'échappait en petits nuages la fumée de son cigare.
Elle savait que son bonhomme de mari allait encore hurler, vu que l'on était le 20, et que le 20 s'était journée de paie, surtout la journée ou il allait fêter ça avec ses ivrognes de camarade d'usine au bar, à boire à chacun son verre, à chacun sa tournée, à coup de scotch qui n'avait pas le temps de vieillir.
Et puis après avoir refait le monde, et les patrons par ci, et les syndicats par là, sans oublier le président et ses fonctionnaires, la police même, saoule jusqu'à la moelle, il rentrait, plutôt il rampait, l'haleine puante, accroché au volant de son tas de tôles.
Lorsqu'il descendit de son siège, il défit sa ceinture en gueulant: « ils sont où ces bâtards de mômes» et la mère lui répondit «tu sais avec quoi tu les as fait au moins, gros porc, décampe éponger ta biture, t'as même pas chercher à acheter de quoi bouffer, et si tu leur touches le moindre cheveu, je te décoche un poing mon vieux dans ta sale tronche de croque-mort»
Alors il prononça un je- ne -sais- quoi, et se dirigea vers la maison, ou sur la première chaise, il posera son falzar et la première table, sa tête, pour y ronfler jusqu'au lendemain. C'était toujours pareil.
Mais Édith n'avait pas peur car elle savait que la mère veillait sur elle comme une louve sur ses louveteaux.
Et puis la photo est sortie de dessous son polo.
La maîtresse, Miss Rose, avait fait venir le photographe, le vieux John Hunt, un ancien soldat de la dernière guerre qui lui avait brûlé une partie de la cervelle, disait on. Il lui a dit souri mignonne.
Sourire, pour qui, pourquoi, il n'y avait que ses yeux qui n'avaient qu'une envie, celle de manger l'univers entier.
C'est comme le pasteur Martin, qui, en parlant de Dieu, lui avait dit:
«Tu vois Édith, un jour, les gens verront la bonté de ton âme et la pauvreté de ta vie sera alors ta richesse».
Foutaise tout ça, ce mec de Dieu n'a rien à faire de sa vie.
Elle s'appelle Édith, tout ça parce que de l'autre coté de l'océan, en France, il y a une chanteuse qui s'appelle Édith machin, un nom d'oiseau, elle croit, et qui chante… Laissez -le- moi mon amoureux… , Et sa mère aime bien cette dame.
Quelle vie de merde.
Et dire qu'elle a failli s'appeler Aimée, … Aimée de qui, aimée pourquoi, …
Photo de Lee Jeffries