Ajouté le 13 juil. 2006
Le tissu, qui nous accompagne du berceau au cercueil, ne nous habille pas seulement, mais sert à la construction de chaque organe vivant, de nos tissus, nerfs, veines et muscles. Lors d'une intervention chirurgicale aussi, il faut ouvrir notre peau, puis la recoudre comme une étoffe. Le fil, cet élément constitutif de chacun d'entre nous, prend un nouveau sens en fonction des mains qui le tissent. Nos tissages sont porteurs de nos propres pensées.
L'homme avait découvert les couleurs dans la nature, cette capacité de distinguer les teintes est un des miracles même de la nature.
La recherche du rythme entre les couleurs et les proportions est un travail passionnant. Le rythme, comme le fil, commande toute vie, et la lie à l'univers. Quand on observe une danse, on s'aperçoit que les pieds, les bras, la tête, et les hanches bougent selon des lignes géométriques, en
courbe, en triangle, en rond, en parabole. Ces formes géométriques sont équivalentes aux géométries de la musique, et les proportions sont toujours exprimables par des nombres. De même l'homme, quand il danse, compte de la même façon que l'oiseau quand il chante ou que les plantes quand elles poussent en proportion du système numérique primordial, intégré dans l'univers. Il faut admettre que l'univers n'est pas un hasard mais une oeuvre consciente et sensée. L'ordre, même quand il est le plus strict, ne peut outrager la vie, car il n'est pas sous le signe de la contrainte mais sous celui de la liberté. La géométrie ouvre les symboles fondamentaux de la raison d'être. Tout ce qui est rigoureux a un pouvoir sur le désordre. Malheur à l'époque quand le désordre prend le dessus sur l'ordre. L'ordre n'est pas mécanique, mais semblable à la danse ; comme le mouvement de l'âme il n'est jamais machinal, mais cadencé. L'hiver-l'été, la droite-la
gauche, le haut-le bas, le jour-la nuit.
Je me suis efforcée d'exploiter des fils de différentes matières et de différentes épaisseurs, selon différentes techniques de tissage, pour obtenir des surfaces diversifiées, qu'on a envie de palper. Quand je touche quelque chose, je sens si l'objet est rêche ou fin. Je prends sa température, je constate s'il est sec ou humide, s'il vibre ou s'il est calme. S'il laisse pénétrer les doigts ou s'il résiste. Comment est-il réellement? Sans le toucher, je ne le saurai pas. C'est pour cela que près des tapisseries, au lieu de l'affichette habituelle « II est interdit de toucher », on devrait mentionner « Il est nécessaire de toucher ».