Ajouté le 5 mai 2006
"L'héritage de ton ancêtre, il te faut le copier pour mieux le posséder"
Goethe
Depuis 2003 je travaille à copier les oeuvres du temps passé. A la fin du Moyen-âge, un même dessin (sujet) pouvait être peint, souvent à la commande, comme le fit par exemple Thierry Bouts. Cela était vécu tout naturellement comme une interprétation fidèle d'une partition de couleur.
Il en va de même de tout le répertoire musical classique qui est interprété en fonction d'une partition. Lorsque l'auteur est un maître*, l'artiste conscient des richesses culturelles sait qu'il tient d'abord à coller la partition et ainsi laisser parler l'auteur, l'espace entre les notes l'âme des vibrations.
"Ma peinture est parfois fidèle, parfois légèrement personnalisée, mais toujours proche de la palette chromatique et de la touche du pinceau." On ne peut copier les maîtres du passé sans une technique sérieuse, un ordre des choses suivi rigoureusement. Il y a une première touche et une dernière qu'il faut comprendre, ressentir, deviner d'après l'original ou la reproduction dont on dispose, mais surtout il est nécessaire d'avoir un dessin précis et exact. Je le répète souvent à mes élèves, c'est toujours le dessin qui "pèche", même chez ceux qui pensent le maîtriser.
Être peintre c'est avant tout être artisan. On y revient toujours, il faut une technique fondamentale pour être libre et compétent. Malheureusement, c'est une expression décadente qui nous est généralement donnée de rencontrer au travers d'expositions ineptes et incompétences couronnées. Mon travail de peintre prend ses racines bien loin, tout d'abord comme observateur des musées, des artistes de la Galerie Vendôme, des artistes français du Grand Palais, où j'exposais très humblement en 1990.
Depuis j'ai beaucoup évolué, parallèlement à une belle carrière de graveur sur verre.
A mon arrivée en Bourgogne, en 1998, je commençais à peindre le paysage nivernais, les champs, les forêts et puis la lumière, uniquement la lumière. Une rencontre avec une artiste du patrimoine polonaise me permit de travailler avec une rigueur. Copier Dürer et Memling est un enseignement pour qui sait voir et ressentir. J'imprégnais innocemment et son regard exercé et une partie de sa compétence. Puis je me mariais avec Pascale, une confiturière du Morvan. C'est à la naissance de notre fils Alexandre que je décidais d'offrir à son regard, le meilleur de la peinture impressionniste et celle du XVème siècle.
La première toile que je copiais fut "La vente du poisson" de Joaquin Sorolla y Bastida, puis "A l'ombre de la tente" de Helen Galloway Mc Nicoll et "Les foins" de Jules Bastien Lepage. Très peu de personne s'exerce à la copie puisque la réalisation en est difficile. C'est pourtant une pratique enrichissante et propice à l'apprentissage de la compétence. On ne peut réussir à travailler les grands maîtres sans comprendre, ressentir et appliquer au moins une bonne partie de leurs compétences. Au-delà même j'ai pu ressentir, notamment en copiant Van des Werden, les sensations transversales d'une période historique typique, la puissance personnelle du peintre, sa vie religieuse ou son rapport à l'âme des êtres et du monde.
C'est là une question d'éthique qui font se rejoindre l'artiste et l'artisan, une communion qui n'aurait jamais du disparaître. Elle est bien rare de nos jours… La peinture, le dessin, la maîtrise artisanale sont les lettres d'une écriture ancestrale qui est une empreinte d'une époque, d'une société, des joies ou des difficultés d'une vie, mais elle révèle souvent à qui sait voir avec le cœur, l'absence ou la plénitude, et surtout le négatif ou le positif de l'auteur !
Il y a des œuvres familières ou étrangères, belles ou radieuses donc fortes, fortes d'humilité, de douceur ou de chaleur, mais positives, et c'est là une évidence qui m'accompagne. L'art est avant tout le reflet, le miroir de notre être. Cela transparaît malgré nous et évolue parfois rectifié par nos espoirs, notre foi, notre conscience et la qualité de nos actes.
Ainsi qu'une infinie réponse à travers le temps, le miroir de Van Eyck est placé au centre des époux Arnolfini où l'auteur se reflète innocemment. C'est plus qu'un témoignage de sa présence, plus que l'acte officialisé par sa signature qu'il a voulu nous exprimer. Il était dans sa peinture comme tout peintre est dans sa toile, pour le meilleur et pour le pire. Dans le cas de Van Eyck, c'est l'évidence, la justesse avec le souci du beau et de la grâce intérieure.
Les couleurs, la lumière, sont des langues à apprendre, à ressentir, ce sont aussi les clefs d'une conscience plus large, intérieure, parfois de la vie aussi.
Il est indispensable de comprendre oh combien l'on est petit au regard des œuvres du temps passé. Mais si l'on s'en imprègne et partage la façon, il est honorable de porter en soi et pour l'avenir cette humble fierté, ce clair obscur de l'appartenance à une famille dans laquelle on communique par delà le temps, les paroles aux mots de lumière, les couleurs de nos songes et de nos vies sont alors une même prière du cœur, le sentiment positif, la beauté de nos vies.