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Gabriel Claude Ancenis

Retour à la liste Ajouté le 27 févr. 2018

Par Michel CLENET, professeur à l'UFM Nantes

Quête d'Essentiel

« Mon travail artistique est d’abord une quête, quête d’un homme qui laboure au plus profond de son âme pour y chercher l’Essentiel » écrit Gabriel Claude

La profession de foi affichée ainsi par Gabriel Claude, celle dont il me confie lors d’une conversation téléphonique (6/10/2015) qu’il en a pesé tous les termes et qu’il y revient toujours pour y confronter chacune de ses œuvres et vérifier qu’elle s’y conforme bien et donc qu’elle a sa raison d’exister – raison sans laquelle elle sera non seulement rejetée mais brûlée dans un geste à la Savonarole qui la réduira en cendres – cette profession de foi qui oriente toute l’œuvre et lui confère une unité indiscutable sert aussi de mesure à chacun des ses éléments et l’oblige. Pas la moindre concession donc, pas le moindre écart mais une exigence avec laquelle Gabriel Claude ne veut pas négocier, parce que, comme il me le redit lors de ce même entretien, cette exigence ne lui appartient pas, il n’en n’est pas le maître, il la ressent et lui dit « OUI » avant de se mettre au travail.
Comme souvent, le mot de la fin est en même temps le mot essentiel – c’est le cas de le dire ici – peut-être parce qu’il a été le premier, celui qui s’est imposé et a généré les autres qui conduiront à lui. Qu’est ce que « l’Essentiel » - surtout quand il s’écrit avec une majuscule et que le déterminant n’en précise pas seulement le genre mais le caractère singulier, unique ? On pense évidemment à Dieu, mais, en même temps, si c’est bien de Lui dont il s’agit, Il n’est pas nommé. Peut-être cet Essentiel doit-il être désigné, sinon défini, par opposition à ce qu’il n’est pas, l’inessentiel, l’accidentel (Aristote), le secondaire, l’inutile. Cette indéfinition respecte le regard et l’interprétation du spectateur.
S’il fait l’objet d’une quête, c’est donc que cet Essentiel n’est pas donné d’amblée, il est la visée ou l’aboutissement d’une « quête » dont il n’est pas interdit de penser qu’elle pourrait être, elle-même, cet Essentiel. Le mot choisi par Gabriel Claude n’est pas sans évoquer la « Queste del saint Graal » avec son arrière-plan religieux et épique. Le travail de l’artiste présente-t-il ce double caractère ? Les sujets, tels que les titres donnés nous les laissent entendre et la « manière », si l’on veut bien considérer les truelles comme des armes, les griffures, les rayures comme autant de blessures, ne contredisent pas cette interprétation. En même temps GC la récuse, ou plutôt, -et c’est bien dans façon d’être et d’agir – il nous en ouvre une autre en utilisant le mot « homme », terme générique et universel qui réduit les chevaliers de l’épopée à une dimension plus ordinaire, plus humble – on est tenté de rapprocher l’homme de l’humus. Ni héros ni artiste, le peintre est tout simplement un « homme » et on a envie d’ajouter ce qu’il nous laisse entendre : comme nous.
Mais cet Essentiel à la recherche duquel le peintre s’engage (et nous engage) où le cherche-t-il et comment ? Le lieu est désigné par l’expression « au plus profond de l’âme ». La profondeur amplifiée du superlatif ajoute encore à l’inaccessibilité et à l’indéfinition de l’âme, cet anima qui désigne le souffle, le principe vital en latin comme en grec va prendre une autre connotation dans la religion avec le dualisme qui l’oppose au corps et l’idée que, contrairement à lui, elle est éternelle. Élément humain ou élément divin, être matériel ou être spirituel, l’artiste ne se prononce pas, ce qui semble compter pour lui, c’est la profondeur de ce qui se trouve au cœur de l’homme et le chemin pour y accéder. Il est un peintre de l’intériorité et ce for intérieur appartient à chacun.
Comment, en effet, atteindre l’Essentiel ? Pour répondre à cette question GC utilise une métaphore, celle du labour. Faut-il y voir une résurgence de ses origines paysannes ? Une indication en tout cas sur sa manière de travailler : une activité physique plutôt qu’intellectuelle, qui consiste à tracer des sillons (on en voit les marques parfois sur certaines toiles : des griffures ou des rayures, l’utilisation de la terre ou du sable comme matériaux associés aux pigments), une activité qu’il exerce dans un cadre rural, au milieu des prés et des champs, un atelier qui est une ancienne porcherie. Mais la métaphore s’écarte de toutes ces références « réalistes » et retrouve sa fonction poétique lorsqu’on la resitue dans le contexte « un homme qui laboure au plus profond de son âme pour y trouver l’Essentiel ». Labourer, ici, n’est pas tracer un sillon bien droit mais creuser, et presque sauvagement, on pense au sanglier qui laboure la terre pour y trouver sa nourriture. Cette « sauvagerie » est augmentée par la mise en relation de deux termes, l’un abstrait, l’autre concret, l’un connoté noblement, l’autre vulgairement (au sens étymologique) : labourer et âme. Pour rester dans les images, on pense à une activité de fouilles qui s’apparente à celle des garimpeiros du Brésil à la recherche de l’or, de la pépite – leur essentiel à eux sans doute. Fouiller, creuser, retourner, c’est l’image du chaos qui s’impose et, peut-être aussi d’une certaine violence, dont on devine que, l’un et l’autre, ne sont pas absents du travail de Gabriel Claude. Il nous le laisse d’ailleurs entendre lorsqu’il nous parle de celui-ci, son atelier « ne craint ni lutte, ni éclaboussures ou meurtrissures ». C’est bien le mot travail qu’il a retenu, même s’il le qualifie d’artistique et l’on ne peut s’empêcher de penser à l’origine de ce mot, à la fois comme sanction biblique « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » et comme source étymologique trepalium, instrument de torture chez les Romains. On songe aux outils du peintre : les trois truelles. On pense également au produit de ce travail : aux toiles elles-mêmes qui en portent les traces comme des stigmates, On pense enfin à l’effet qu’elles produisent sur celui qui les regarde et qui doit bien admettre qu’elles le « travaillent » en profondeur, qu’elles lui font violence en quelque sorte, qu’elles l’attirent dans leur chaos, même voilé, même en partie dissimulé, même édulcoré. C’est au prix de ce bouleversement profond que le spectateur atteindra peut-être à son tour, l’essentiel, son essentiel à lui qui se révélera être le même que celui du peintre ou se montrera différent, car les toiles, comme l’artiste, lui offrent cette liberté, la lecture en est ouverte et cette OUVERTURE par laquelle et à laquelle il est conduit commence comme OUI.

Michel Clenet
Professeur IUFM Nantes

Artmajeur

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